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désastre auquel on avait échappé par miracle depuis le départ de Toulon s’accomplit. Le 1er  août, Nelson attaquait et détruisait la flotte française en rade d’Aboukir. Tout avait coulé ou sauté, l’amiral Brueys lui-même disparu avec l’Orient. À peine quelques frégates tenues hors du combat avaient été épargnées. Une mémorable défaite navale, une débâcle dont l’achèvement sera Trafalgar. Après cette journée, l’armée était séparée de la France, bloquée en Égypte, sans espoir de retour, car la République perdait sa dernière escadre. Une catastrophe dont le retentissement fut immense. L’Angleterre était vraiment la reine des mers. Elle n’eut plus de peine à coaliser l’Europe contre la Révolution conquérante.

Il est frappant de voir comme ce désastre affecte peu Bonaparte. L’expédition n’a plus de vaisseaux. Elle s’en passera. Elle n’a plus à compter sur un ravitaillement du dehors. Elle s’organisera pour vivre sur le pays et pour y produire ce qui lui est nécessaire. Le général en chef n’a pas un moment de trouble. On dirait que la difficulté le stimule. Huit jours après avoir appris la fatale nouvelle, il fonde l’Institut d’Égypte, de même qu’il signera le statut des comédiens du Théâtre-Français à Moscou. Et, pendant toute la fin de l’année 1798 jusqu’au mois de mars 1799, il pacifie et administre sa conquête comme s’il devait y rester toujours.

Pourtant un autre danger menace. Les Turcs, poussés par l’Angleterre et la Russie, symptôme de la grande coalition qui se noue en Europe, s'avancent par la Syrie pour reprendre l’Égypte. Bonaparte décide aussitôt d’aller à leur rencontre. C’est la fuite en avant. Et c’est aussi le projet grandiose qu’il avait expliqué à Junot lorsqu’ils arpentaient tous deux les boulevards de Paris. Une fois maître de la Syrie, il soulèverait les chrétiens du Liban ; il rallierait les Druses et, grossie de tous ces auxiliaires, son armée s’ouvrirait un chemin jusqu’à