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sement où n’entrait que pour bien faible part, si elle y entrait, l’intention de se débarrasser d’un militaire gênant. Du reste, on courait le risque de le grandir par l’éloignement, et Bonaparte, de son côté, ne pensait peut-être pas tant à accroître sa gloire par une campagne qui frapperait les esprits qu’à s’installer dans un proconsulat d’Orient qui remplacerait celui d’Italie. Il n’y a pas de gouvernement, si détestable soit-il, qui expose quarante mille hommes et sa dernière flotte pour se défaire d’un général ambitieux. Le Directoire se décida à la conquête de l’Égypte par d’autres raisons.

Devenu le maître absolu, Napoléon n’a rien entrepris de plus aventureux ni de plus extravagant, pas même la campagne de Russie. Chimères lointaines pour lesquelles ne comptent ni l’espace ni les difficultés, projets gigantesques, vues sur Constantinople, partages, échanges, remaniements, « reçès », il a tout trouvé dans l’héritage du Directoire, comme le Directoire tenait déjà tout, par le Comité de salut public, du premier Pyrrhus, le girondin Brissot qui, la tête pleine de brochures, rêvait une immense refonte de l’Europe et du monde. Les illusions qui avaient lancé la Révolution dans la guerre servaient maintenant à poursuivre une paix insaisissable. Albert Sorel montre très bien que l’expédition d’Égypte apparut, à des hommes qui se croyaient raisonnables, comme le moyen d’arriver à la pacification générale par le démembrement de l’Empire ottoman. Un seul détail dira à quelle ivresse de la force, à quelle débauche guerrière on en était. L’expédition d’Égypte fut financée par le trésor, — trente millions, — que Brune venait d’enlever à « l’aristocratie bernoise », et ce brigandage, destiné à « nourrir la guerre », était opéré au nom de la République et de la liberté. L’entraînement aux violences a commencé avant l’Empire napoléonien.

Lorsque l'expédition eut mal tourné, Bonaparte