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lui-même dès que le caprice l’en prenait, de même que son favori d’un moment, l’acteur Joseph Kainz, n’était plus, à ses yeux, Kainz, mais le Didier du rôle de Marion Delorme, dans lequel il l’avait vu pour la première fois. Ainsi sa vie de tous les jours se transforma peu à peu en une représentation qui fut bientôt à grand spectacle. Pour compléter ses illusions, il entreprit de leur donner un milieu approprié. Telle fut l’origine de ses châteaux merveilleux, forteresses destinées à défendre sa rêverie et sa solitude contre les assauts du vulgaire, vastes scènes aussi où il pourrait jouer les héros légendaires et les grands rois absolus.

La manie de la décoration avait d’abord, chez Louis II, été assez innocente. À la Résidence de Munich, il avait commencé par meubler ses appartements avec un goût naïf et une modestie qui convenait au train économe des cours allemandes. Mais déjà son pavillon privé, réduit fermé aux indiscrets et où n’avaient accès que de rares privilégiés, n’était qu’une collection de souvenirs wagnériens, pêle-mêle avec des évocations des rois de France. C’étaient des Lohengrin, et c’étaient des Siegfried, voisinant avec des Louis XIV et des Marie-Antoinette, des escadres de cygnes sur les consoles, voguant, ailes déployées, au milieu d’éventails et de tabatières.

Même confusion à ce château de Berg, si gai, si blanc, qui dresse ses tourelles à créneaux parmi les sapins sombres et la clarté de vertes prairies, au bord des eaux transparentes du lac de Starnberg, en face du Tyrol neigeux et voilé. Louis II aimait ce pavillon qui porte bien sa date romantique. C’était là pourtant qu’un jour on le conduirait prisonnier, là qu’il trouverait la mort. Dans ce beau lac tyrolien, tantôt d’un