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Telle était la conception que se formait Louis II de l’art dramatique ; Scribe et Guilbert de Pixérécourt étaient ainsi pour lui des auteurs aussi estimables que Racine ou Shakespeare. L’important pour cet imaginatif et ce solitaire, c’était d’obtenir une image même grossière des âges abolis, afin d’échapper à son propre temps. Le roman, la peinture, le mélodrame, pouvaient être de la dernière vulgarité. Il en était content s’il en tirait quelques heures de rêverie, de délivrance des hommes et de lui-même. Ce fumeur d’opium ne recherchait que l’ivresse, l’oubli, une sorte de sommeil enchanté, et non pas un plaisir esthétique. L’admirable, c’est qu’il ait gardé si longtemps la fraîcheur de sensibilité, la jeunesse d’imagination, qui font participer le spectateur de quinze ans à l’action de la scène.

Deux périodes, deux cycles, partageaient sa prédilection. C’était d’une part la vieille littérature nationale allemande, celle que le romantisme avait remise en honneur, les fables de la mythologie germanique où Wagner avait puisé. Et c’était aussi, par un contraste bien singulier, le XVIIe et le XVIIIe siècle français. Tannhæsuser, Siegfried, alternaient avec Louis XIV, Brunhilde avec Mme de Pompadour. Hors de là, il ne manifestait qu’indifférence. Si, parfois, l’idée lui vint de faire un voyage romanesque en Espagne ou d’étudier la mythologie hellénique, ce ne furent que des velléités sans lendemain. La Grèce, Rome, l’Orient, l’Italie, il dédaigna tout ce qui attire le lettré et l’artiste. Il ne sortit pas de son troubadourisme wagnérien et de son culte pour ce qu’il appelait la « sainte trinité des trois lys de France », Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

Lohengrin et le roi-soleil devinrent de la sorte les personnages de rechange dans lesquels il entrait à volonté, se jouant à lui-même une perpétuelle comédie. Il devenait un autre