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Kainz souffrit dans l’intimité du voyage. Louis II ne consultait assez ni ses goûts ni ses forces, lui imposait des veillées et même des jeûnes extraordinaires. Lorsqu’on était dans un livre, le roi oubliait, et pour lui et pour les autres, l’heure du dîner. L’estomac de Kainz était à l’épreuve en même temps que son orgueil. Tout cela devait finir mal. Louis II eut, un soir, la fantaisie pendant une promenade sur le lac, d’aborder au Rütli, d’y passer la nuit à réciter du Schiller. Il était tard ; Kainz était : las il refusa avec humeur de se mettre aux exercices de déclamation. Louis II, avec cette moquerie dédaigneuse dont il avait le privilège, n’insista pas, souhaita bonne nuit à l’acteur et, regagnant sa barque, abandonna Kainz à ses méditations et à ses remords. Le lendemain, honteux et confus, le comédien se présentait devant son protecteur, qui lui accorda son pardon. Mais le charme était rompu. De retour à Munich, Louis II donnait congé à Kainz, sans aigreur du reste. « Soyez béni de tous les esprits du bien. C’est le vœu cordial de votre bien affectionné », lui écrivait-il en guise d’adieu. Et, par la suite, Joseph Kainz reçut encore quelques lettres d’un enthousiasme chaleureux, mais ni plus ni moins déraisonnable que celui dont Wagner avait eu les prémices.

Comme à Wagner aussi, l’amitié du roi devait porter bonheur à Joseph Kainz. L’homme du drame musical avait été sauvé d’un naufrage presque certain par la faveur du roi de Bavière. La même faveur tira de la médiocrité l’obscur comédien judéo-hongrois, qui poursuivit sa carrière avec le prestige de son aventure de Munich. Et il dut une part de ses succès de théâtre au mystère et à la légende de Louis II.

Le roi, après cette passade, reprit sa vie coutumière. Son secrétaire, son valet de chambre, son coiffeur, ses piqueurs, les simples et loyaux paysans tyroliens qu’il retrouvait dans