Page:Jacques Bainville - Louis II de Bavière.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et ce fut, pendant cinq mois, une orgie de littérature. Louis II écrivait à Kainz des lettres fiévreuses, du style qu’il avait employé avec Wagner. Le comédien n’a d’ailleurs pas manqué de les publier de son vivant. C’est un rappel de toutes les satisfactions que les ouvrages récités en commun ont causées au roi, des remerciements lyriques pour l’acteur à la voix vibrante, mêlés d’effusions idéalistes. Par exemple : « Relisant à l’instant le drame délicieux de Grillparzer, La Vie est un rêve, et les vers de Roustan que, durant ces jours sublimes, vous avez dits à Linderhof avec une ardeur si persuasive, je sentis de nouveau l’inoubliable charme de votre voix divine ! » Un autre fragment d’une lettre de Louis II mérite d’être cité. Le roi dut expliquer à son ami pourquoi il ne voulait le voir en scène que dans les représentations privées. Joseph Kainz, jouant au théâtre de la Cour, à l’occasion d’une cérémonie, s’était flatté de réussir à faire paraître le roi en public ce soir-là. C’eût été, en effet, pour le jeune acteur, un succès personnel, car il y avait des années que Munich n’avait pu voir le roi dans sa loge. Louis II se donna la peine d’exposer tout au long les motifs de son refus. Kainz ne crut pas à ses raisons ou ne les comprit pas. Il commençait, d’ailleurs, à se tenir pour le camarade du roi, et ses familiarités le rendirent bientôt insupportable. Louis II n’était tout de même pas descendu aussi bas qu’on l’affirma plus tard. Les auteurs du rapport parlementaire lui ont reproché ses fréquentations dégradantes : Louis II sut pourtant, jusqu’à la fin, se faire respecter.

L’été venu, il avait décidé de faire un voyage romanesque en compagnie de son favori. Il avait songé d’abord à l’Espagne. Il choisit la Suisse, plus prochaine, le lac des Quatre-Cantons où le souvenir des équipées wagneriennes de sa vingtième année le ramenait. L’amour-propre de Joseph