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— Jamais, répondit le roi vivement, jamais vous ne jouerez un rôle pareil ! »

Louis II approchait de la quarantaine, et l’on voit qu’il avait conservé la jeunesse et la fraîcheur de son imagination. Il n’avait pas cessé de croire à l’illusion de la scène. Le Paradoxe de Diderot fait horreur aux adolescents, et surtout aux adolescentes, qui n’admettent pas un instant que le jeune premier puisse ne pas jouer avec toute son âme, ne pas ressentir toutes les passions de son rôle. L’idée que Louis II se faisait du théâtre et du métier d’acteur était restée aussi virginale. C’est pourquoi Joseph Kainz n’était pas, à ses yeux, un petit acteur juif, mais le personnage de Marion Delorme sous lequel il lui était apparu pour la première fois. Et jamais il ne l’appela d’un autre nom que celui de Didier.

Si l’imagination de Louis II ne s’était pas éteinte, son cœur, dans la solitude, n’avait pas vieilli davantage. On est surpris de retrouver son amitié pour Kainz aussi vivace, aussi fougueuse que l’avait été autrefois sa passion pour Wagner. Mêmes tête-à-tête, prolongés jusqu’à l’impatience de l’ami, trop chéri à son gré. Même programme de plaisirs interminables lectures, séances de déclamation sans trêve au milieu des familiarités de la vie en commun. Et, chose curieuse, même susceptibilité du roi dès qu’il s’agit de sa dignité et des affaires de l’Etat. Louis II brisait net la conversation lorsque Wagner se permettait de parler politique. Un jour qu’il se plaignait à Joseph Kainz du poids de la couronne, le jeune comédien s’enhardit à donner le conseil d’abdiquer, de remettre la tâche en d’autres mains. Louis II le regarda avec sévérité, le pria de parler d’autre chose. L’imprudent favori avait touché, sans le vouloir, au sujet réservé. Louis II, comme tous ses collègues couronnés, se retrouvait roi au milieu même de ses abandons.