est un parasite comme le bourgeois puisque comme lui il consomme sans produire. Hein ? Que répondez-vous à cela ?
— Ce que j’ai déjà répondu à bon nombre d’anarchistes qui m’ont posé la même question…
— Ah !… même des anarchistes ? Tiens ! Tiens !… Ainsi vous voyez que je connais ces théories… Mais, excusez-moi de vous avoir interrompu. Continuez, je vous prie, je suis impatient de vous entendre, me dit-il, moitié aimable moitié ironique.
— Bourgeois et cambrioleurs consomment sans produire ? C’est vrai ; mais le tout est de savoir distinguer comment et sur qui chacun d’eux consomment. Le bourgeois consomme en dévalisant le travail, c’est-à-dire les ouvriers, alors que le cambrioleur consomme en livrant des assauts au capital, c’est-à-dire au bourgeois. Le premier vole des millions, au coin du feu, avec l’appui et la protection des gendarmes ; l’autre se révolte contre les lois en entreprises périlleuses, demeure pauvre, et va crever au bagne ou sur un échafaud. Il n’y a donc nulle parité entre eux. Autre objection. Bourgeois et cambrioleurs sont deux parasites parce qu’ils ne produisent pas. C’est encore vrai ; mais là encore faut-il savoir distinguer. Le bourgeois est un parasite conservateur ; tous ses soins, ses désirs, ses aspirations tendent à un même but : la conservation de l’édifice social qui le fait vivre ; alors que le cambrioleur est un parasite démolisseur. Il ne s’adapte pas à la société ; il vit sur son balcon et ne descend dans son sein que pour y livrer des assauts ; il ne se fait pas le complice et la dupe du parasite conservateur en allant passer ses journées à l’usine ou à l’atelier, comme le fait l’ouvrier, en consolidant avec ses bras ce que son cerveau voudrait détruire ; il ne coopère, n’aide d’aucune façon au fonctionnement de la machine sociale, au contraire, à chacun de ses coups il ronge, sape, détruit quelques-uns de ces engrenages. Son rôle n’est pas de construire dans ce milieu gangrené, mais de démolir. Il ne travaille pas pour le compte et le profit de M. Fripon ou de Mme Fripouille, mais pour lui et pour l’avènement d’un monde meilleur.
— Démolir… démolir ; voilà qui est bientôt dit, ma foi ; mais il s’agit de reconstruire. Et quelle société peut-on construire avec des hommes comme vous… des démolisseurs ! Me dit le député.
— Les malfaiteurs, les bandits, les démolisseurs comme moi, monsieur, lui répondis-je avec hauteur, sont loin d’être des ineptes ; croyez-moi. Aujourd’hui, j’use de tout les moyens pour démolir l’édifice social parce qu’il pue avec ses chancres et ses immondices, qu’il indigne avec ses injustices et ses cruautés ; mais vienne un monde nouveau conforme à mes idées et demain, dirigeant mon savoir, mon intelligence, mon talent vers la construction du nouvel état de chose, je mettrai autant d’ardeur à bâtir que ce que j’en met aujourd’hui à démolir.