un peu à l’écart, à quelques mètres, pour échanger quelques mots à voix basse.
Pauvre de moi ! En admettant que j’eusse pu fournir le meilleur des alibis, cela ne m’aurait pas servi à grand-chose. J’étais pris dans la nasse, et, à moins d’en couper les mailles, je n’en pouvais sortir. Si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai tout simplement que l’individu aux lunettes n’était autre que le paquet de viande suspect que j’avais rencontré quelques heures avant, le matin, en sortant de la gare de Pont-Rémy. C’était l’abject Edmond Mas en personne. Or comment pouvais-je m’en sortir sans violence, puisque ce produit incestueux, cet avorton, ce mollusque, cet acéphale, était en train de chuchoter à l’oreille du procureur qu’il me reconnaissait formellement ? Vous devez penser qu’avec une telle recommandation le procureur aux poils de lapin se garda bien de me relaxer. Je me rembarquai donc en leur désagréable compagnie et, teuf teuf teuf… nous voilà repartis.
Dès que je fus installé dans la voiture, l’idée me vint de faire usage de mes armes. Infiniment rapide et peu précis, le projet me traversa l’esprit. Mais, pour l’instant du moins, cette étincelle n’était pas viable ; elle s’éteignit, disparut dans mes raisonnements : « Pourquoi tuer encore ?… À quoi bon ?… Je suis pris… Mais n’est-ce pas fatal ? Ne suis-je pas seul à lutter contre la société entière, contre ses policiers, ses marchands, ses gendarmes, ses laquais et ses juges ? Aujourd’hui ou demain… un peu plus tôt, un peu plus tard, ne faut-il pas succomber ? » Et, mentalement, je me répétais : « C’est fatal ! À quoi bon se défendre ! »
Et, naïvement, je me tenais tranquille comme un agneau à coté de mes bourreaux. Mais insensiblement les idées me revenaient plus nettes, plus concises ; la lumière pénétrait peu à peu dans mon cerveau ; par gradation le réveil s’effectuait, je commençais à sortir de l’état léthargique, pour me servir de cette expression, dans lequel m’avait plongé mon arrestation. Je continuai ce voyage dans un voyage : la revue de mes souvenirs.
Tous mes projets de lutte, mes prochaines expéditions s’évanouissaient en fumée. Je regardais le paysage qui s’offrait à mes yeux, se déroulant comme les tableaux d’un cinématographe : les arbres, les prés, les champs, les meules de paille, les tas de pierres échelonnés de distance en distance sur la route ; plus loin, le paysan et ses deux chevaux attelés à une charrue labourant la terre : je buvais tout cela du regard, me disant : « C’est donc fini ? Tu ne verras plus rien de cela ?… » Je pensais à ceux que je laissais derrière moi, à mes affections, à mes relations : à mes amis, à ma compagne, à ma mère ; à ma mère que j’avais laissée malade, clouée dans le lit par les suites d’une opération chirurgicale. À cette