Où étions-nous ? Où allions-nous ? Pour le moment ces questions étaient pour nous autant de mystères. Heureusement que tout arrive, même la découverte d’une borne kilométrique. Ce ne fut qu’après avoir lu les inscriptions que nous sûmes nous trouver sur la route départementale de Poix à Abbeville. Mais, hélas ! Poix se trouvait loin, très loin, et la perspective d’en faire le trajet à pieds n’eut pas le don de nous enthousiasmer. Notre but était d’arriver à un village quelconque pourvu d’une gare, afin d’y pouvoir prendre le train à destination de Boulogne-sur-Mer. Dans l’espoir d’en rencontrer un avant Poix, nous continuâmes d’avancer.
Une heure après notre départ d’Abbeville et après avoir traversé le village d’Épogne, j’éprouvai une telle lassitude que je proposai une halte de quelques minutes. J’avais besoin de repos. Incomplètement remis d’un fort accès de fièvre qui m’avait fait tenir le lit pendant huit jours, à Paris, cette marche forcée, la nuit, sous une pluie fine mais pénétrante, m’avait indisposé. Mes camarades ne firent aucune objection à ce désir. Comme l’herbe était mouillée, j’étendis mon imperméable à terre et nous nous assîmes tous trois au bord du talus, au pied d’un arbre bordant la route.
— Je suis à me demander ce qu’a voulu dire cette guenon, nous dit Bour.
Sur le moment je ne compris pas l’allusion.
— Quelle guenon ? Lui demandai-je.
— L’apparition de la fenêtre, parbleu !
— Ah !… Je gagerais que c’est son « Ils sont encore trois » qui chatouille ta curiosité ?
— Juste.
— Je vais t’en donner la signification. Te souviens-tu de l’expédition du 24 décembre où nous sommes venus cambrioler l’église Saint-Jacques ?
— Certes !… Si je m’en souviens. Je me souviens aussi de la bouteille de vin blanc, ajouta-t-il en riant.
Puis venant à la question :
— Mais je ne vois pas en quoi… — Laisse-moi continuer et tu vas comprendre, l’interrompis-je.
Je rallumai ma cigarette qui s’était éteinte, puis je repris :
— Puisque tu as la mémoire si heureuse de te rappeler la bouteille de vin blanc, tu dois