Page:JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés — 7 avril 1948.pdf/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous savez aussi quelles ont été mes angoisses, de quel ordre sont mes préoccupations. Vous savez — je tiens encore à le préciser à la Chambre — qu'il est loin de ma pensée de tenter, dans les circonstances actuelles, ce qu'on pourrait appeler une opération politique.

Mon action n'a qu'un but : dans la guerre totale où nous avons été entraînés par un pays qui l'a préparée depuis de longues années, permettre à l'armée de l'air de jouer le rôle important que la nation attend d'elle.

Vous savez aussi, monsieur le président du conseil, que le dossier que je vais ouvrir, que vous connaissez en partie, suite du pénible débat qui m'a opposé, le 12 janvier dernier, à M. le ministre de l'air, ne pouvait être ouvert qu'en comité secret.

Et je remercie la Chambre d'avoir décidé cette séance en comité secret.

Je vais dire quelle est, à cinq mois de la mobilisation générale, la situation de l'aéronautique française.

Je m'excuse, tout d'abord, vis-à-vis de la Chambre, si je suis obligé d'entrer dans un certain nombre de considérations techniques.

La technique, en aéronautique, est primordiale. Mais elle nécessite aussi une politique, une politique qui, à mon avis, n'a pas été celle qu'aurait dû suivre le ministre de l'air responsable, car, si le ministre de l'air était à son poste depuis quelques mois, s'il était encore à la période des tâtonnements et des expériences, vous pourriez me dire : votre critique est inopportune. Mais M. le ministre de l'air est en place depuis deux ans, les crédits ne lui ont jamais été refusés, nous en ferons le compte, nous verrons où nous en sommes après deux ans de gestion et si nous devons changer cette politique ou la continuer.

Lorsque M. le ministre de l'air a pris la poste redoutable qu'il occupe, il nous a fait, à la commission de l'aéronautique, le 16 février 1938, une sorte d'inventaire de la situation difficile qu'il assumait. Il nous disait notamment :

« On manque totalement de pièces de rechange en stock. Vous pouvez voir dans les parcs — je l'ai vu moi-même — des moteurs qui attendent des pièces de rechange de tels ou tels établissements. Ce qui nous frappe, c'est l'insuffisance des quantités, la déficience de la qualité. Le matériel qui sort à ce jour, au rythme de quarante avions par mois, correspond pour partie à du matériel déjà surclassé. »

La netteté de ces déclarations nous avait fait espérer qu'un effort considérable allait être entrepris, que toutes les possibilités industrielles du pays, nationalisées ou non, allaient travailler à rattraper notre retard, que les chefs de nos services techniques seraient mis face à leurs responsabilités et qu'ils ne se contenteraient plus, comme on le fait encore à l'heure actuelle, de rédiger des notes pour couvrir des responsabilités défaillantes.

Je pensais aussi qu'une utilisation rationnelle des crédits importants mis à la disposition du ministre de l'air allait nous donner enfin, et devant la tension diplomatique qui s'accentuait, en qualité et en quantité les avions qui nous étaient nécessaires.

J'ai fait personnellement confiance à l'œuvre entreprise, pendant le temps que j'estimais nécessaire à cette laborieuse remise en route d'une machine détraquée.

Les résultats ont été, hélas ! loin des espoirs nés de nos amères désillusions.

Et ce fut la mobilisation générale.

Avant d'aller rejoindre mes camarades de l'air, j'ai écrit à M. le président du conseil pour lui exprimer mes angoisses et mes anxiétés.

Messieurs, si l'aviation française a présenté, au jour de la mobilisation, un aspect du désordre apparent, de confusion d'attributions regrettable, c'est que nous n'avons jamais eu, en effet, comme la guerre et la marine, une organisation réelle de nos armées de l'air et, pour bien vous faire comprendre le danger de ce manque d'organisation rationnelle, la première partie de l'exposé que je compte faire devant vous comprendra ce que j'appelle les erreurs de la mobilisation.

Dans la seconde partie seulement, qui est évidemment aussi la plus délicate, je vous dirai quelle est la situation actuelle et ce qui nous attend dans un proche avenir.

Le calme dans lequel s'est effectué cette mobilisation, le délai que nous a laissé l'ennemi pour mettre en place nos formations ont permis, dans une certaine mesure, de parer aux défauts graves de l'organisation telle qu'elle se présentait à la mobilisation, mais nous sommes loin d'avoir réparé toutes les erreurs commises et c'est cela qui est grave encore à cinq mois de la mobilisation, car il faut vous dire que l'armée de l'air est tout entière une armée de couverture, ses délais d'intervention, en supposant naturellement qu'elle soit dotée du matériel nécessaire, étant déterminés par les délais de mise en route des formations.

Ces délais sont de l'ordre de quatre heures.

Ont-ils été respectés ? Je réponds par la négative. Sont-ils actuellement respectés ? Je réponds encore négativement.

Pourquoi n'ont-ils pas été respectés à la mobilisation, me demanderez-vous ? Je vous dirai simplement ceci :

C'est parce que, en fait, l'organisation du temps de guerre doit pouvoir se substituer sans modification à l'organisation du temps de paix et parce qu'on a commis la faute impardonnable de prévoir des organisations différentes pour le temps de paix et pour le temps de guerre.

Quelles ont été, en effet, les étapes de cette organisation ? En 1933, un premier décret a amorcé la question. En 1934, une loi a constitué la première mise au point. Ce n'est qu'en juin 1936 qu'est paru le premier décret d'application, suivi d'un second le 15 août 1937.

On aurait pu penser — et c'est ce que j'ai fait — que le décret de 1937, malgré ses imperfections, aurait marqué une étape dans la vote de l'organisation de toute cette armée de l'air et que 1938 nous aurait apporté les modifications reconnues à cet égard nécessaires.

Je suis obligé de reconnaître — je l'ai déjà dit au début de 1939, à la commission de l'aéronautique — qu'il n'en a rien été. Continuant les errements des années 1936 et 1937, 1938 n'a été qu'une querelle de partisans inadmissible concrétisée par le décret de septembre 1938.

Je ne veux pas revenir sur la longue discussion que j'ai engagée à cette époque avec M. le ministre de l'air, discussion dont on retrouvera tous les éléments justifications dans les archives de la commission de l'aéronautique.

Mais je voudrais souligner devant vous, sans entrer dans les détails organiques de ce décret, quelques-unes des conditions dans lesquelles il est entré en vigueur à ce moment-là.

C'est le moment de la pleine tension diplomatique, car nous sommes à la fin de 1938, au début de 1939. Je rappelle les bouleversements apportés dans l'armée de l'air, les mutations nombreuses qui en ont été la conséquence, les changements de structure qu'a subis cette malheureuse armée et qui ont eu pour résultat, à la mobilisation, un désordre apparent.

Voici quelques exemples. Il y a en de nombreux : c'est la modification des limites de la deuxième région aérienne, diminuant de 40 p. 100 les effectifs de la défense aérienne de Paris, par suite du rattachement de Reims à la région de Paris. C'est la frontière du Nord privée des bases mobilisatrices, Reims, Mourmelon, la subdivision de Cherbourg transférée à Chartres, tout contact rompu avec les autorités maritimes des théâtres d'opérations de la mer du Nord, le théâtre de la quatrième région militaire scindé en deux. Le groupe aérienne de Rennes scindé en deux, le groupe aérienne de Rennes opérant au profit de la quatrième région militaire rattaché à la onzième région militaire, le territoire de Brest-Nantes intéressant les opérations navales de la mer du Nord ainsi que le ravitaillement éventuel des formations d'aviation des théâtres d'opérations du Nord et de l'Est rattaché à Tours. La première région (état-major), Metz-Nancy est transférée à Reims. La frontière du Nord-Est et tous les territoires d'Alsace et de Lorraine sont vidés d'organes de commandement aériens importants.

Je n'ai trouvé, je vous l'assure en toute honnêteté et sincérité, aucune justification de ces déplacements coûteux, démoralisants pour le personnel évacué en pleine tension diplomatique.

L'obscurité qui règne sur les attributions des divisions et subdivisions, les suppressions d'états-majors de subdivision, les nouveaux tableaux d'effectifs renforcés pour des régions, ainsi que les subdivisions de régions et les subdivisions de brigades, a amené de nombreux mouvements d'états-major : Nancy transféré à Laon, Toulouse à Bordeaux, Orléans à Tours, suppression de trois états-majors de division, remplacement de douze états-majors de région, ayant comme conséquence la recherche d'officiers dans les formations, de nouvelles mutations, résultat qui est exactement contraire aux intentions du décret stipulant qu'il fallait, au contraire, décharger les états-majors pour augmenter le nombre des officiers en formation.

La mobilisation elle-même a été bouleversée, en particulier par la mobilisation des régions et par les prescriptions concernant les états-majors de division, de subdivision et de brigade qui ont donné naissance à un état-major de subdivision aérienne et, en principe, à un état-major de division, de brigade et de commandement de mer d'armée de terre. Ces prescriptions rétablissaient purement et simplement, au moment du danger, l'organisation de guerre détruite pendant le temps de paix.

Certes, on peut dire que nos effectifs de combat — personnel et matériel — ne justifient pas dans l'armée de l'air actuelle, l'organisation — calquée du reste sur l'organisation de l'armée de terre — mise sur pied en 1936. On peut dire, encore à l'heure actuelle, que le petit nombre des formations que nous pouvons engager ne comporte pas le luxe en cascade des multiples états-majors de l'armée de l'air.