Page:JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés — 21 mars 1905.pdf/9

Cette page n’a pas encore été corrigée

sements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

Ah ! messieurs, les ennemis de la République auraient beau jeu dans cette partie.

M. le marquis de la Ferronnays. C’est bien ce que nous espérons.

M. Massé. C’est un aveu à retenir.

M. le rapporteur. Le champ se trouverait librement ouvert devant eux à tous les mensonges, toutes les calomnies contre ce régime. Sur cette question de la séparation que vous auriez posée sans la résoudre, il leur deviendrait loisible de vous prêter les pires desseins, les plus éloignés de vos intentions. Vous les verriez parcourir les campagnes annonçant la fermeture des églises...

A droite. Avec raison !

M. le général Jacquey. Ils useront de leur droit !

M. le marquis de l'Estourbeillon. C'est notre devoir de montrer la vérité aux électeurs.

M. le président. Veuillez faire silence, messieurs. Si vous ne pouvez pas entendre exprimer des opinions qui ne sont pas les vôtres, la discussion ne pourra pas continuer.

M. le rapporteur. Vous les verriez parcourir les campagnes, annonçant la fermeture des églises, la proscription des prêtres, la persécution des fidèles et toutes les atteintes les plus graves à la liberté de conscience. Et vous, messieurs, comment pourriez-vous vous défendre contre ces attaques, si grossières, si invraisemblables fussent-elles ? Vous ne le pourriez pas. (Interruptions à droite.)

M. le président. Toutes les opinions pourront s'exprimer messieurs : il y a plus de soixante orateurs inscrits. Ne perdez pas dès maintenant vos forces en interruption.

M. le rapporteur. Quand on a l'imprudence de s'exposer à être jugé sur des intentions, on peut redouter toutes les erreurs et toutes les injustices. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et à gauche.)

Messieurs, j'ai écrit dans les conclusions de mon rapport — M. Berry a bien voulu le rappeler — que renvoyer la question aux électeurs ce serait offrir une prime à l'agitation cléricale ; je persiste dans cette opinion. Comment pourriez-vous en effet tenir les membres du clergé à l'écart d'une bataille dont leur sort serait devenu le principal enjeu ?

Equitablement, vous ne le pourriez pas, vous n'en auriez pas le droit. Si le Gouvernement en avait l'intention et même la volonté, il se trouverait réduit à l'impuissance ; force lui serait d'assister, désarmé, à toutes les fureurs électorales d'un clergé déchaîné par l'âpre souci de ses intérêts.

Je vous le demande, messieurs, quel est le républicain qui consentirait de gaîté de cœur, à jeter la République dans une aussi folle aventure ?

Et pourquoi ? Par respect pour le suffrage universel ? Mais, le suffrage universel, vous en êtes les représentants. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)

Vous êtes ses élus...

M. Suchetet. Nous n'avons pas posé la question à nos électeurs.

M. le général Jacquey. Nous n'avons pas été élus sur cette question.

M. le comte de Pomereu. Faites un référendum sur cette question. Vous verrez le résultat.

M. le rapporteur. ...vous restez en contact permanent avec vos électeurs ; vous êtes qualifiés pour apprécier leurs sentiments, leurs tendances, leurs aspirations, au fur et à mesure des circonstances.

M. Georges Berry. C'est vous, partisan du mandat impératif, qui parlez ainsi !

M. le président. Vraiment, messieurs, il est inadmissible que l'on ne puisse pas poursuivre dans le calme et le silence une discussion dans les termes où celle-ci est menée. (Très bien ! très bien !)

M. le rapporteur. Si nous apportions à l'étude et au vote d'un projet de séparation la même passion, la même intolérance que vous mettez dans cette discussion, nous vous ferions une bien mauvaise loi contre laquelle vous auriez le droit de protester.

M. le marquis de Rosanbo. Celui-ci est assez mauvais ; qu'il le soit un peu plus ou un peu moins, la différence ne sera pas fort importante.

M. le rapporteur. En vous envoyant ici, les électeurs n'ont pas prétendu, j'imagine, vous enfermer dans je ne sais quel cercle restreint de prévisions étroites et numérotées à l'avance. Leur confiance en vous, d'une façon générale, a élargi votre mandat aux proportions de toutes les responsabilités que les événements peuvent vous entraîner à prendre au cours d'une législature. (Applaudissements à gauche.) Autrement ce serait la négation du régime parlementaire qui se trouverait par là même exposé à toutes les hésitations, incurablement voué à toutes les impuissances. Nous nous faisons une autre idée de notre mandat.

Du reste je me suis demandé et je me demande encore, j'allais dire surtout après avoir entendu l'honorable M. Berry, sur quoi pourrait bien porter une consultation du suffrage universel. A la rigueur, je comprendrais qu'on appelât les électeurs à se prononcer sur cette question simple : oui ou non le Concordat doit-il être maintenu ?

M. Lasies. Très bien !

M. le rapporteur. Mais déjà la question ne peut plus se poser ainsi. (Applaudissements à gauche.)

A droite. Pourquoi pas ?

M. le rapporteur. Messieurs, j'attends que l'on apporte à cette tribune une proposition nette et claire, invitant le Gouvernement à renouer des rapports avec le Vatican, (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Cette proposition elle est peut-être à l'état latent dans beaucoup d'esprits ; mais ce qui la juge, c'est qu'elle n'ose pas se formuler publiquement à la tribune. (Très bien ! très bien ! à gauche.)


M. Georges Grosjean. Vous préjugez l'opinion de vos collègues.

M. le rapporteur. Le Concordat étant, juridiquement sinon en fait, aboli, que vous proposez-vous donc ? Vous n'avez pas, j'imagine, dans un conflit d'intérêt où votre pays est aux prises avec une puissance extérieure, l'intention de demander aux électeurs de prendre parti contre leur pays ?

M. Gayraud. Il ne s'agit pas de Rome, mais des catholiques français !

M. le baron Amédée Reille. Les protestants n'ont rien à faire avec Rome et vous les atteignez aussi avec votre projet !

M. le rapporteur. C'est pourtant ainsi que, dans l'état actuel des choses, la question se trouverait posée devant les électeurs. Nous avons alors à envisager deux éventualités ; si la consultation réussissait au gré des désirs apparents de l'honorable M. Berry, voici ce qui se passerait : Dès sa première réunion, la Chambre nouvelle aurait pour devoir d'inviter le Gouvernement à reprendre les relations avec Rome ; autant dire que la République serait aller faire des excuses au pape. (Exclamations à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche.) Il faudrait engager des pourparlers pour un nouveau Concordat ; mais quel Concordat ?

M. Jaurès. Très bien !

M. le duc de Broglie. C'est ce qu'il y aurait de plus simple.

M. le rapporteur. Logiquement, il faudrait en faire disparaître toutes les clauses qui ont éveillé les susceptibilités du Saint-Siège.

Si, au contraire, la consultation des électeurs tournait en faveur de la séparation, alors la nouvelle Chambre se trouverait dans la situation même où est celle-ci, mais avec cette différence peu enviable que, toute chaude encore de la bataille électorale, elle se trouverait dans les pires conditions pour entreprendre une tâche qui exige avant tout du calme et du sang-froid. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)

Je n'insiste plus et je m'excuse auprès de la Chambre d'en avoir tant dit pour démontrer combien est inacceptable la proposition d'ajournement de M. Berry. J'espère que lui-même ne se fait pas de grosses illusions sur le sort qui lui est réservé.

M. Georges Berry. On s'en fait toujours, mon cher collègue.

M. le rapporteur. Cette discussion aura toujours valu à l'Eglise un jour de délai ; je crois que dans cet ordre d'idée et dans les circonstances pressantes où nous sommes c'est tout ce que nous pouvons faire pour elle. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le président. La parole est à M. Lasies.

M. Lasies. Messieurs, mes amis et moi nous voterons la motion de M. Berry, inspirée par un sentiment de respectueuse déférence vis-à-vis du suffrage universel.

En la votant, je me permets de constater qu'ici, dans cette Chambre, à peine cent députés se sont, sur leur programme, engagés vis-à-vis des électeurs à demander la séparation des Eglises et de l'Etat. (Interruptions à l'extrême gauche et à gauche.)

Voici les chiffres exacts : 129 députés ont inscrit la séparation sur leur programme. Ceux-là ont le devoir de voter le projet qui vous est soumis. D'autre part je constate qu'une majorité dans cette Chambre s'était engagée, également sur son programme, à voter l'impôt sur le revenu. (Exclamations à l'extrême gauche et à gauche.)

A l'extrême gauche. Chaque réforme à son tour ! — Nous ferons les deux.

M. Lasies. Cette majorité a fait échouer l'impôt sur le revenu à cinq voix parce qu'il gênait de gros intérêts financiers, qui sont sauvés par la rançon de la liberté religieuse que vous allez leur donner. (Très bien ! très bien ! à droite.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des cultes.

M. Bienvenu Martin, ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes. Le Gouvernement est d'accord avec la commission pour repousser la motion d'ajournement de l'honorable M. Berry.

Lorsqu'il a déposé son projet de loi, il a pensé que l'heure de la séparation était venue, que cette mesure devait être la solution inévitable et prochaine d'une situation qui ne pouvait pas se prolonger. Il n'a pas changé d'avis.

En déposant ce projet, le Gouvernement a pris toute sa responsabilité ; il demande à la Chambre de ne pas se dérober à la sienne. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le président. La parole est à M. Thierry.

M. J. Thierry. Je considère, aussi bien que M. Berry, qu'il eût été plus respectueux du suffrage universel de ne pas mettre à l'étude une question sur laquelle les électeurs n'ont pas été consultés ; je considère aussi que l’œuvre entreprise nous conduit peut-être au delà des vœux du pays ; mais je considère, d'autre part, la Chambre ayant décidé de passer à la discussion de la loi,