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l’Etat s’empareront des églises et des édifices religieux et si le Gouvernement qui siégera alors sur ces bancs a les mêmes idées que le Gouvernement actuel toutes les églises seront fermées, et les prêtres, comme en 1795, seront contraints d’aller dire la messe dans les granges et dans les caves Ce n’est pas douteux. (Applaudissements à droite.) Il faut bien qu’on sache ce que. vous voulez faire. Si vous n’osez pas proposer aujourd’hui la fermeture immédiate des églises, c’est que vous avez peur des élections de demain. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

C’est parce que vous voulez essayer, par des atermoiements, d’endormir l’électeur. Mais, prenez garde, on se chargera de le réveiller, de lui dire toute la vérité et de lui expliquer les conséquences de votre projet. Car c’est un projet sournois, qui n’a rien ni de franc, ni de loyal. (Applaudissements à droite et au centre.)

En somme, disons-le bien haut si vous arrivez à votre but — car j’espère encore que vous ne réussirez pas — vous allez faire voter une séparation dont ne veut pas le pays ; je dirai même plus je suis convaincu que si vous la faites voter, elle le sera par une majorité qui y est hostile. (Exclamations à gauche.)

Je ne veux pas mettre de noms sur les visages, mais tous, ici, vous savez bien que je dis la vérité.

Rien ne change ici bas. Il y a, et il y aura toujours, dans les assemblées la montagne et la plaine : une montagne prodigue de violences et de menaces et une plaine faite de crainte et de veulerie. (Mouvements divers.)

Eh oui ! je l’ai montré, hélas ! Entraînés de faute en faute, de concession en concession, les membres de la plaine en arriveront à voter ce qu’ils ont toujours réprouvé. Je me souviens que l’histoire nous enseigne qu’il y a eu des moments où les modérés se sont repris ; je souhaite qu’ils le fassent aujourd’hui, et qu’en la circonstance, ils estiment qu’ils n’ont pas le droit d’abdiquer ainsi devant une minorité qui les mène aux pires extrémités et à la perte même de la République.

Quant à moi, j’ai dégagé ma responsabilité, j’ai été fidèle à mon programme ; je ne souhaite qu’une chose : c’est que tous vous fassiez de même. (Applaudissements sur divers bancs à droite et au centre.)

Mais quoi qu’il arrive, si vous votez la séparation des Eglises et de l’Etat, croyez-moi, vous n’aurez pas besoin de vivre comme l’a écrit Leroy Beaulieu, les années de Larévellière-Lépeaux ou de Cambon pour voir la France redemander bientôt un autre Concordat. (Vifs applaudissements à droite et sur divers bancs. — Exclamations à l’extrême gauche.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Aristide Briand, rapporteur. Messieurs, dans les développements qu’il a donnés à sa proposition, l’honorable M. Berry n’a oublié qu’une chose : envisager la situation de fait en présence de laquelle vous vous trouvez. Elle a cependant son importance et vaut qu’on la discute. C’est ce que je me propose de faire, très rapidement du reste.

En insistant longuement auprès de vous pour obtenir que vous repoussiez la proposition de M. Berry, je craindrais de faire injure à la Chambre, car ce serait la supposer capable de se déjuger à un mois à peine d’intervalle. (Très bien  ! très bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

Le 10 février dernier, vous avez déclaré, à une forte majorité, que les circonstances ayant rendu inévitable la séparation des Eglises et de l’Etat, la discussion et le vote de cette réforme s’imposaient de toute nécessité, dans cette session même. C’était un engagement solennel, pris en pleine connaissance de cause, devant le pays tout entier.

Depuis, la situation s'est-elle modifiée ? Non, messieurs, elle est restée identiquement la même. Les difficultés avec Rome ne sont pas aplanies ; il serait même puéril d'espérer qu'elles puissent être jamais aplanies (Rumeurs à droite), car elles tiennent à des raisons profondes sur lesquelles pas plus le Saint-Siège que la République ne peuvent transiger. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

Lorsque Pie X a protesté contre le voyage de M. le Président de la République à Rome, il n'était pas, sans doute, dans son intention de froisser, au moins de parti pris, le sentiment national de ce pays ; il agissait, j'en suis convaincu, sous l'influence pour ainsi dire irrésistible d'une suggestion à laquelle le souci de sa dignité, uni aux exigences traditionnelles de sa fonction, lui faisait un devoir d'obéir.

M. Charles Benoist. Et nous, nous sommes tombés dans un piège.

M. le rapporteur. Je ne juge pas son attitude ; mais j'ai le droit de retenir de cet événement considérable puisqu'il a fait apparaître aux yeux de tous les inconvénients graves, irréductibles, d'un régime qui expose les deux parties intéressées à se trouver sans cesse en conflit sur des questions essentielles d'indépendance et de dignité. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)

Quand on se place au point de vue de l'exécution courante du Concordat, on se trouve en présence d'une situation inextricable. Là encore, toutes les causes de conflit persistent. Pour la République, en effet, les principaux avantages du Concordat, je devrais dire tout le Concordat, sont dans les articles organiques. Or, ces articles, Rome ne les a jamais reconnus ; toujours, à toutes les époques, elle a déclaré les tenir pour nul et non avenus.

D'ailleurs la doctrine fondamentale de l'Eglise s'oppose formellement à ce qu'elle les reconnaisse jamais. C'est la tare originelle de cette convention interlope née dans la contrainte et dans la ruse. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

C'est de cette équivoque qu'ont surgi toutes les difficultés du passé et elle porte en elle, comme une menace permanente pour l'avenir, le germe de nouveaux et innombrables conflits.

Vous me direz que pendant trente-quatre ans la République a pu s'accommoder de ce régime. C'est vrai ; mais au prix de quelles concessions humiliantes (Exclamations au centre et à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche), et de combien de capitulation de principes !

Je conviens qu'avec un pape comme Léon XIII qui était un diplomate avisé et fin, sachant assouplir la politique de l'Eglise aux difficultés de son époque la situation aurait pu se prolonger longtemps encore, quoique dans une assez misérable équivoque.

Mais avec Pie X, tout épris d'absolutisme religieux, la rupture devenait inévitable. Le Concordat devait rester trop étroit pour contenir les mouvements un peu désordonnés d'une foi si vive et si agissante. Aussi les premières tentatives du nouveau pape ont-elles été pour l'affranchir d'obligations gênantes. Mais ses efforts devaient se briser contre la fermeté républicaine d'un chef de Gouvernement qui n'entendait pas laisser compromettre entre ses mains les droits et la dignité de l'Etat laïque. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Il est résulté de ce conflit ce que vous savez. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les événements ; vous les avez, pour ainsi dire vécus, et vous y avez pris votre large part de responsabilité.

Par suite de violations successives et pour ainsi dire systématiques du Concordat, les relations avec Rome ont dû être rompues. Vous avez approuvé la rupture. Vous avez fait plus. Par la suppression du crédit de l'ambassade auprès du Vatican, vous avez signifié clairement que vous vous opposiez à toute reprise des relations avec le Saint-Siège.

M. Jules Delafosse. Ce qui est une absurdité.

M. le rapporteur. Poussés par la logique même de ces premiers votes, vous êtes allés plus loin encore. Le mois dernier, vous avez reconnu que la situation appelait une solution rapide et que la seule qui fût à la fois raisonnable et conforme aux intérêts et à la dignité de la République, c'était la séparation des Eglises et de l'Etat.

Au cours des débats qui ont été provoqués par ces événements, il m'avait semblé qu'un rendez-vous général avait été pris, pour ainsi dire d'accord entre toutes les fractions de la Chambre, pour discuter non plus sur une misérable question de procédure, mais sur le fond même de la réforme. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Il me souvient de m'être, il y a plusieurs mois, opposé à cette tribune même, à quelques-uns de mes amis qui, imprudents à mon avis, semblaient vouloir exiger, dès le premier conflit avec Rome, une solution décisive. Pendant que j'expliquais, dans l'intérêt même de la séparation, la nécessité pour mes amis de mettre un peu de patience au service des événements, je voyais sur les bancs de la droite et du centre des sourires ironiques : on me reprochait ce qu'on appelait mon opportunisme. A ce moment, les défenseurs attitrés de l'Eglise et l'Eglise elle-même, semblaient plus pressés que nous de se trouver à pied d’œuvre. Eh bien ! nous y sommes ! (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Mais d'ici là, messieurs, que se passera-t-il ? Oh ! c'est bien simple. Si vous aviez l'imprudence d'accorder cet ajournement, d'abord le Saint-Siège ne manquerait pas, et il aurait raison, d'interpréter votre vote comme le signe d'une grande inquiétude.

M. Georges Berry. Il l'interpréterait comme un vote de loyaux représentants. Voilà tout !

M. le rapporteur. ...comme la démonstration de votre impuissance, comme la preuve éclatante que vous redoutez de prendre les responsabilités de l'heure.

M. le comte de Lanjuinais. Il croirait simplement que vous êtes respectueux du suffrage universel.

M. le rapporteur. Son attitude n'en serait pas améliorée ni ses prétentions affaiblies.

Mais ceci n'est rien encore à côté de ce qui pourrait se passer dans le pays même. Votre vote donnerait le signal d'une agitation formidable... (Interruptions à droite.)

M. Lasies. Et après ?

M. Georges Berry. Vous la déchaînerez bien autrement.

M. le rapporteur. ...qui irait croissant jusqu'aux élections générales, c'est-à-dire jusqu'à l'heure décisive de la bataille, d'une bataille dans laquelle les républicains déçus, découragés, par conséquent infériorisés, se trouveraient aux prises avec des adversaires d'autant plus redoutables que le meilleur de leur force aurait été fait de votre faiblesse. (Applaudis-