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Pie X l'a déchiré par deux ou trois actes d'absolutisme.

Jusqu'à ce que vous me l'ayez prouvé, j'ai encore la faiblesse de croire que le Concordat est en très bon état et qu'il n'a pas subi la moindre déchirure (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. Julien Goujon. Il existe encore, puisque vous l'exécuter et que vous payer le budget des cultes.

M. Georges Berry. Ce n'est pas aujourd'hui seulement que nous avons à constater des difficultés entre l'Etat français et la papauté. Il y en a eu depuis qu'il y a un Concordat. Mais, chacun y mettant de la bonne volonté, elles ont toujours été résolues.

Croyez-vous qu'en 1865, ou mieux à la fin de 1864, lors de la publication du Syllabus et des discours de MM. Bonjean et Rouland au Sénat, croyez-vous, dis-je, que la situation n'était pas plus tendue qu'aujourd'hui ?

Personne alors ne demanda de dénoncer le contrat qui liait la France au pape. Tout s'est arrangé. On a envoyé un ambassadeur à Pie IX qui a accordé ce qu'on lui demandait et l'incident s'est terminé à la satisfaction générale. Plus tard, en 1883, il se manifesta un mouvement analogue à celui d'aujourd'hui.

A la suite de difficultés comme il s'en produit toujours entre deux contractants, un homme qui ne sera pas non plus, j'espère, considéré par vous comme un clérical, Paul Bert, et plusieurs de ses collègues déposèrent une proposition de séparation. La commission qui fut alors nommée confia le rapport à l'auteur même de la proposition. Paul Bert, après quelques jours de réflexion, reconnut qu'il avait été un peu vite et, abandonnant comme rapporteur ses propres propositions, il demanda à la Chambre des les repousser.

Il reconnut qu'il avait eu tort. Vous feriez bien de l'imiter aujourd'hui. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)

Et le Concordat ne fut pas plus déchiré en 1883 et en 1864 qu'il ne l'est aujourd'hui, comme vous avez tort de l'affirmer, monsieur le rapporteur.

Le Gouvernement n'a qu'à y mettre un peu de bonne volonté et nous continuerons à voir respecter par les uns et par les autres le Concordat de 1801. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Vous dites ensuite : « Un an d'émancipation électorale accordée au clergé, quel est le républicain soucieux de sa région qui oserait envisager une telle perspective ? »

Je vous avoue qu'après y avoir bien réfléchi je ne comprends pas.

Eh quoi, vous parlez d'émancipation ! Mais le jour de l'émancipation, ce sera le jour de la séparation. Jusque-là vous ne pouvez pas parler d'émancipation, puisque les prêtres seront liés par le Concordat et qu'il ne leur est pas loisible de faire de l'agitation. L'agitation ne commencera qu'au moment de la suppression du budget des cultes, qu'au moment de la dénonciation du Concordat. Jusque-là il n'y a pas d'émancipation à craindre. Par conséquent, ce n'est qu'en déchirant le Concordat que vous provoquerez l'agitation dont vous parlez. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)

Mais, ajoutez-vous, tous les électeurs républicains sont favorables à la séparation. (Dénégations à droite.) Entendons-nous ! Oui, tous les électeurs anti-catholiques sont favorables à la séparation, mais pas tous les électeurs républicains.

Je sais bien, mon cher rapporteur, que vous êtes très intransigeant au point de vue de la religion catholique. N'affirmez-vous pas qu'il n'y a presque plus de catholiques en France, parce que la plupart se contentent d'être baptisés, de faire leur première communion, de se marier et de se faire enterrer à l'église ? et vous ajoutez que cela ne suffit pas pour être un vrai catholique. Heureusement, mon cher collègue, que vous n'avez pas embrassé la carrière religieuse, car autrement vous seriez bien sévère pour les pauvres pénitents. (On rit.)

Bien que tous les catholiques ne suivent pas d'une façon absolue les rites de leur religion, ils n'en sont pas moins catholiques de toute coeur, croyez-moi, et le jour où vous aurez atteint leurs familles, leurs femmes, leurs enfants dans leur dévotion, ils seront plus catholiques que jamais et vous obtiendrez ce résultat que vous ne cherchez pas, je suppose, de ranimer, dans ce pays, la foi catholique. (Applaudissements sur divers bans à droite et au centre.)

Vous êtes assurément de très bonne foi, mais vous prenez vos désirs pour des réalités. Vous êtes comme tous ceux qui ont une idée bien arrêtée ; vous croyez que tout le monde la partage. D'autres aussi ont pensé comme vous et ne sont pas arrivés non plus aux résultats qu'ils désiraient.

A côté de nous, en Suisse, à Genève, les partisans de la séparation ont pensé aussi qu'il suffisait de vouloir cette séparation pour la faire aboutir ; mais cependant, plus respectueux que vous ne voulez l'être du suffrage universel, ils ont consulté les électeurs. En 1880, alors que, d'après le discours très net de celui qui dirigeait alors la campagne en vue de la séparation, il ne devait pas y avoir 500 électeurs pour le Concordat, voici quel fut le résultat du référendum : 9,000 voix se sont prononcées contre la séparation ; 4,000 voix pour,soit 5,000 voix d'écart.

Mais on ne se découragea pas et, en 1897, on recommença à parler de séparation. On promit, comme nous l'avons entendu faire ici même, de créer, avec l'économie réalisée, une caisse de retraites ouvrières , et, malgré cet appât, 7,800 voix répondirent : Non, nous ne voulons pas de séparation, tandis que 3,800 voix seulement se prononcèrent en sa faveur.

L'état des esprits en France me paraît être le même et une consultation de ce genre y donnerait, je crois, les mêmes résultats qu'en Suisse.

Mais je poursuis l'examen de vos objections.

Vous ajoutez : « Tout le monde s'accorde à proclamer que la question doit être posée, discutée et tranchée dans le calme, avec sang-froid. Au sortir d'une période électorale, qui n'aurait pu être qu'effroyablement agitée, la Chambre se trouverait-elle dans les conditions désirables pour aborder l'examen du problème ? »

Vous faites là encore erreur, monsieur le rapporteur. J'avais toujours pensé avec beaucoup d'autres que le lendemain des élections une trève se signait entre les différents adversaires et qu'après avoir compté leurs victoires et leurs défaites, ils finissaient par se donner la main, oubliant pour quatre ans les luttes auxquelles ils avaient pris part, tandis qu'au contraire c'est dans la période qui précède l'élection que s'agitent les passions. C'est, en effet, à ce moment-là seulement qu'on se divise, qu'on lutte. Ainsi, déjà à la seule annonce de la séparation, de tous côtés s'organisent en vue des élections des pétitionnements, des réunions et nous recevons les uns et les autres des quantité de lettres d'électeurs républicains, mon cher collègue, qui indiquent un commencement d'agitation.

L'agitation, c'est donc vous qui allez l'inaugurer ; c'est vous qui allez la faire. (Applaudissements sur divers bancs et à droite.)

Enfin, dans une dernière phrase de votre travail, — c'est la dernière que je citerai et je demande pardon à la Chambre d'avoir si longtemps retenu son attention, — vous dites : « Le projet qu'on vous présente n'est pas une œuvre de passion, mais de justice. »

Il faudrait, au moins, mon cher collègue, consulter les intéressés avant de parler ainsi. Vous faites un signe de dénégation. Croyez-vous qu'il soit bien juste qu'un prêtre, âgé de soixante ans, ayant servi le culte pendant quarante ans et n'ayant pas été rétribué par l'Etat pendant vingt ans, se voie supprimer, au bout de quatre ans, toute allocation et toute pension ? Croyez-vous qu'il soit bien juste de forcer à l'aumône ce vieillard, qui, après tout, ayant eu confiance dans le Concordat, a pendant quarante ans donné sa vie au sacerdoce ? (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite.)

Vous appelez votre projet une œuvre de justice, ce prêtre la considérera comme un œuvre d'injustice. (Applaudissements à droite.) Est-il bien honnête aussi de décider que, au bout de sept ans, vous pourrez jeter à la porte de leurs presbytères les curés qui y habitent, et aussi fermer au bout de douze ans les églises, où ne pourront plus pénétrer ni prêtres, ni fidèles ? (Applaudissements sur divers bancs.)

Mais les catholiques ne sont pas seuls à juger comme moi votre œuvre.

Vous avez lu, monsieur le rapporteur, l'enquête très intéressante qui a été faite par le journal le Siècle chez les protestants et chez les israélites. J'ai relevé les réponses fournies par les principaux pasteurs et par les principaux israélites. M. Mathieu, M. Lelièvre, M. Jalabert, doyen honoraire de la faculté de Nancy notamment, d'autres encore dont je n'ai pas relevé les noms, déclarent d'une façon absolue que les projets proposés sont des codes de servitude.

M. Buisson me fait un signe de dénégation.

Vous devez cependant connaître cette enquête, monsieur Buisson, puisque vous êtes rédacteur au Siècle. J'ai conservé toutes les réponses dont je parle et je les tiens à votre disposition.

M. Ferdinand Buisson, président de la commission. Les critiques de M. Jalabert dont vous parlez s'adressent à un projet qui n'existe plus et qui n'est pas celui de la commission.

M. Aristide Briand, rapporteur. M. Jalabert est venu devant la commission. Sa critique s'applique au projet de M. Combes.

M. Georges Berry. Les réponses dont je parle visent le projet actuel. Mais les israélites, sont-ils venus aussi devant la commission. Voici leur réponse : « Les projets de séparation proposés légalisent la spoliation. » Je ne suppose pas qu'ils soient revenus à de meilleurs sentiments puisque la spoliation dont ils parlent figure encore dans le projet actuel.

Voilà donc votre loi jugée au triple point de vue de la justice, de la légalité et de la loyauté.

Je laisse l'opinion des catholiques de côté ; je me contente des objections soulevées et du jugement porté par les protestants et les israélites. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)

Si la Chambre accepte la séparation telle que vous la proposez, dans douze ans, nous nous trouverons dans la même situation qu'en 1795 ; les prêtres seront comme par le passé poursuivis et réduits à mendier leur pain. (Dénégations à l'extrême gauche.)

Mais parfaitement, messieurs ; les églises seront fermées. (Nouvelles dénégations sur les mêmes bancs.) Vous ne vous faites j'imagine aucune illusion sur ces conséquences et vous protestez ! Vous savez bien cependant qu'après un délai de douze ans...

M. Alexandre Zévaès. Vous n'avez pas lu le projet !

M. Georges Berry. ... les communes et