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qui a imposé aux ecclésiastiques les charges militaires. Eh bien savez-vous comment appelle Jules Ferry traitait vos projets de séparation des Eglises et de l'Etat ? Ecoutez-le :

« La séparation de l’Eglise et de I’Etat, disait-il, loin d’être un élément d’apaisement et loin d’apaiser la question religieuse, la porterait plus vive et plus intense jusqu'au sein même de la famille. J'estime que cette séparation, loin de fortifier l'Etat ne pourrait que l'affaiblir et ne fortifierait que les passions. »

Et le 12 septembre 1881, à Saint-Dié, au lendemain de la lutte où fut posée nettement la question de la séparation des Eglises et de l'Etat, il s'exprimait ainsi : « Il y a, pour les rapports de l'Eglise et de l'Etat, une solution radicale à laquelle se rallie toute l'extrême gauche, c'est la séparation absolue. Eh bien ! j'ai lu ses programmes, je les ai étudiés et je vous déclare que c'est une minorité, une minorité faible des programmes républicains qui contient cette solution, à mon avis aussi redoutable que chimérique, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. »

M. Goujat. En quelle année Jules Ferry disait-il cela ?

M. Georges Berry. En 1881, au moment de la consultation faite à cette époque et qui est la seule consultation sérieuse qui a eu lieu au sujet de la séparation.

Passons maintenant à Gambetta.

Le 4 mai 1877, il s'écriait à la Chambre des députés : « Quant à moi, qui suis partisan du système qui rattache l'Eglise à l'Etat... » et comme du côté de l'extrême gauche se produisaient des mouvements de protestation, il ajoutait : « Oui ! j'en suis partisan, parce que je tiens compte de l'état moral et social de mon pays ! »

M. Massé. Lisez donc la suite !

M. Georges Berry. Vous la lirez vous-même.

Dans tous les cas, la phrase que je viens de citer existe et cela me suffit ; vous ne pouvez pas dire d'ailleurs que la suite de cette phrase puisse en infirmer le sens très clair.

M. Massé. Mais Gambetta indiquait une condition dont vous ne parlez pas.

M. Georges Berry. Eh bien ! vous indiquerez cette condition. Je ne sais, d'ailleurs, ce que vous voulez dire ; j'ai lu le discours tout entier et je n'y ai trouvé aucune condition qui puisse affaiblir ce que je viens de lire.

Direz-vous aussi que Gambetta, Jules Ferry sont trop loin de nous ? Mais M. Combes lui-même, qui, depuis, a changé d'avis, nous verrons pourquoi.

M. Charles Benoist. Ce n'est pas une autorité !

M. Georges Berry. M. Combes, ancien président du conseil, dans une phrase qui lui fut assez reprochée d'ailleurs par certains journaux de son parti, s'exprimait ainsi à cette tribune, il n'y a pas deux ans :

« Un peuple n'a pas été nourri en vain, pendant une longue suite de siècles, d'idées religieuses, pour qu'on puisse se flatter de pouvoir y substituer, en un jour, par un vote de la majorité, d'autres idées contraires à celles-là. »

Je sais qu'on lui reprocha beaucoup cette phrase et qu'il fît presque des excuses en séance publique et que plus tard même il changea d'avis, mais pourquoi ? Vous le savez aussi bien que moi, messieurs, c'est qu'ayant été mis à la tête du pouvoir avec mission d'expulser toutes les congrégations et d'agiter la question cléricale, quand il vit qu'il n'y avait plus de congrégations en face de lui, il essaya de faire vibrer une autre corde anticléricale, il pensa aux curés et il mit en avant la séparation des Eglises et de l'Etat.

M. Lasies. C'est ce que M. Clemenceau appelle pincer le curé au bon endroit, afin d'éviter l'impôt sur le revenu et autres réformes sociales.

M. Georges Berry. Voilà pourquoi le président du conseil précédent a changé en un an d'avis sur la question ; mais sans les nécessités du pouvoir il aurait été l'adversaire de la séparation, avec tous ceux qui, chargés de gouverner le pays, s'inquiètent de la situation dans laquelle serait plongée la France le jour où l'on voudrait courir cette aventure.

Mais est-ce bien la rupture d'une alliance quelconque que vous voulez faire ? Y a-t-il vraiment alliance entre l'Eglise et l'Etat, entre la papauté et la France ? On ne peut franchement pas appeler alliance le concordat de 1801 : c'est un traité de paix ; c'est un modus vivendi.

Il y avait eu sous la Révolution confiscation des biens du clergé ; les acheteurs avaient peur d'être troublés dans leur possession et une vive agitation s'était produite de ce fait ; le premier consul voulut rassurer ces propriétaires inquiets et il demanda au pape de consentir à signer une entente par laquelle le Saint-Père déclarerait que les possesseurs ne seraient pas troublés, en échange de quoi le Gouvernement donnerait aux prêtres et aux évêques les subventions nécessaires pour l'entretien du culte ; de plus les églises, les presbytères qui n'avaient pas été aliénés, seraient mis à la disposition du clergé. Enfin pour assurer la paix en France, le premier consul se réserva le droit de nommer les évêques qui seraient agréés par le pape.

Voilà ce qu'est le Concordat ; c'est un modus vivendi des plus simples.

Or il n'existe pas au monde une nation qui n'ait avec la papauté un modus vivendi de ce genre. Toutes pensent qu'il est impossible de vivre avec Rome sans un traité de paix ; seuls, vous vous trouverez tout à fait isolés. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Mais je ne me fais pas d'illusion. Ce n'est pas la séparation que vous voulez, ce n'est pas la suppression du Concordat ; ce que vous voulez, c'est la suppression pure et simple du budget des cultes. (Applaudissements au centre et à droite.) Vous voulez étrangler les idées religieuses et vous espérer y arriver en prenant aux prêtres les quelques millions que vous leur donniez.

Véritablement, réduire cette question à une question de gros sous, c'est peu digne d'une Assemblée française ! (Très bien ! très bien ! à droite.)

Mais craignez qu'en privant les cultes de quelques millions que vous allez leur refuser, vous ne vous enleviez quelques millions d'électeurs ! (Protestations à gauche.) Cela pourrait fort bien arriver.

Oh ! messieurs, il est bien entendu que je ne fais pas ici de questions personnelles ; je suis convaincu que vous êtes tous trop au-dessus de ces petites et mesquines craintes électorales pour mettre en balance et votre intérêt, et vos principes. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.) Je ne vous fait pas cette injure, mais je parle seulement de l'intérêt de votre parti. (Applaudissements à droite et au centre.)

Vous aviez si bien conscience de ce que je dis qu'au moment de la nomination de la commission, dans mon bureau, où nous étions, en très petite minorité anti-séparatistes, plusieurs d'entre vous vinrent me trouver, me déclarant qu'ils ne voulaient pas de la séparation, et me demandant de me présenter. Je fis alors une liste avec deux de mes collègues et nous fûmes élus.

J'ai retrouvé les noms de ceux de mes collègues qui m'ont alors accordé leurs suffrages, ils sont parmi ceux qui ont voté en faveur de la discussion de la séparation, au mois de février dernier.

Par conséquent, je puis bien affirmer sans crainte d'être démenti, que si les séparatistes sont suivis dans les scrutins publics, ils sont complètement abandonnés dans les scrutins secrets. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Mais croyez-vous que les électeurs ne se lasseront pas d'être dupés ? Je vous demande pardon du mot, mais il exprime bien ma pensée.

M. Jules Galot. Il y a si longtemps qu'ils y sont habitués !

M. Georges Berry. Il y a trois ans, M. Waldeck-Rousseau faisait voter une loi qui n'avait pour but, disait-il, que de régulariser la situation des congrégations non autorisées ; on n'avait en vue, suivant lui, que la suppression de quelques-unes de ces congrégations rebelles ; mais toutes les autres n'avaient qu'à montrer patte blanche et à présenter une demande d'autorisation pour être immédiatement autorisées. On se présenta dans ces conditions devant les électeurs, on les assura qu'il ne serait touché en rien aux congrégations autorisées qui avaient leur droit de cité. Je me souviens même d'un discours dans lequel M. Waldeck-Rousseau, alors le porte-parole de la majorité, déclarait que l'enseignement des frères était remarquable, que ces frères avaient bien mérité du pays et que jamais personne n'oserait toucher à leur privilège.

Vous savez ce qui s'est passé ; les électeurs ont eu confiance dans ces promesses...

M. Cachet. Pas tous ! J'en connais qui ont fait exception.

M. Georges Berry. La plupart ! Je ne veux pas donner la nomenclature des candidats qui, à ce sujet, ont trahi leurs promesses. Mais un grand nombre avaient pris devant leurs électeurs les mêmes engagements que M. Waldeck-Rousseau. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Aussitôt que les élections ont été faites, la majorité a jeté à la porte non seulement les congrégations non autorisées, puisqu'on n'a même pas voulu examiner leurs demandes, mais encore toutes les congrégations autorisées, manquant ainsi à la bonne foi et à la loyauté électorales. (Applaudissements à droite et au centre.)

Je sais bien que les moines et les capucins, comme vous les appelez, ne sont plus là pour vous rappeler vos promesses et vos programmes ; mais prenez garde ! si vous faites la séparation, il restera probablement dans beaucoup de départements des prêtres qui hors de l'église garderont leurs droits de citoyens et d'électeurs et qui pourront montrer aux populations qu'après avoir trompé les uns vous trompez encore les autres... (Applaudissements à droite.) et qu'après avoir manqué à vos promesses une première fois en 1903, vous y manquerez encore en 1095. Cela pourra avoir peut-être quelques inconvénients pour vous... (Exclamations à gauche.)

A l'extrême gauche. Vous êtes bien bon !

M. Georges Berry. Je n'envisage la question qu'au point de vue général et j'entends la maintenir dans ces limites ; vous me dites que je suis bien bon, non ! car je ne désire qu'une chose, c'est que ceux qui voteront la séparation soient battus.

M. Braud. C'est réciproque du reste.

M. Georges Berry. Je ne veux pas passionner ce débat et j'aurais terminé si M. le rapporteur n'avait cru devoir répondre d'avance aux considérations que je fais valoir en faveur de ma proposition.

Je demande donc la permission d'examiner ses différentes objections.

Pourquoi, me dit M. le rapporteur, voulez-vous retarder cette discussion sur la séparation ? Il n'y a plus de Concordat ; le pape