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Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi ordonné.


5. — 1re DÉLIBÉRATION SUR LE PROJET ET LES PROPOSITIONS DE LOI CONCERNANT LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT.

M. le président. L'ordre du jour appelle la 1re délibération sur le projet de loi et les diverses propositions de loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

Avant d'ouvrir la discussion générale, je dois donner connaissance à la Chambre de deux motions préjudicielles, l'une, de M. Georges Berry, l'autre, de M. l'abbé Gayraud.

La motion de M. Georges Berry est ainsi conçue :

« La Chambre décide qu'il ne sera pas statué, dans cette législature, sur les propositions de séparation des Eglises et de l'Etat et prononce l'ajournement du débat. »

La seconde motion, présentée par M. l'abbé Gayraud, est rédigée de la façon suivante :

« La Chambre, considérant que la loyauté diplomatique et l'honnêteté politique, non moins que l'intérêt de l'ordre public et de la paix religieuse, exigent que la dénonciation du Concordat, l'abrogation de la loi du 18 germinal an X, et la séparation des Eglises et de l'Etat soient faites à l'amiable, décide de surseoir à toute délibération sur le projet de loi relatif à ce sujet et invite le Gouvernement à réunir une commission extraparlementaire de ministres des divers cultes, de concert avec les chefs des Eglises intéressées, afin de préparer un accord avec ces Eglises sur les conditions de la séparation. »

Je donne la parole à M. Georges Berry pour développer sa motion.

M. Georges Berry. J'ai déposé une motion préjudicielle tendant à demander à la Chambre de surseoir à l'examen du projet de séparation des Eglises et de l'Etat jusqu'après les élections de 1906.

J'ai été amené à déposer cette motion en m'inspirant des avis de tous ceux qui ont collaboré à la Constitution qui nous régit aujourd'hui et en particulier de l'opinion de M. Waldeck-Rousseau qui, en 1896, prononçant un discours sur les relations des députés avec le suffrage universel s'exprimait ainsi :

« La Constitution a proclamé que le droit du suffrage universel est permanent et non point temporaire. Elle a voulu qu'aussitôt que l'intérêt du pays l'exigeât, il fût consulté, qu'en tout temps le Parlement lui demeurât subordonné et c'est pourquoi le pouvoir exécutif, par sa prérogative essentielle n'est point son adversaire, mais son témoin et son garant. La faculté de dissolution, inscrite dans la Constitution, n'est point pour le suffrage universel une menace, mais une sauvegarde.

« Elle est le contrepoids essentiel aux excès de parlementarisme et c'est pour elle que s'affirme le caractère démocratique de nos institutions. »

Je ne pouvais pas placer cette discussion sous un meilleur patronage. En effet, n'êtes-vous pas avant tout les hommes du suffrage universel et votre titre de représentants du peuple ne vous interdit-il pas de trancher des questions aussi graves que celle qui nous occupe, avant d'en avoir référé à vos électeurs. (Très bien ! très bien ! à droite et sur divers bancs au centre.)

Or l'importante question que nous allons discuter n'a pas été soumise, que je sache, aux collèges électoraux et, d'autre part, chaque fois qu'elle a été posée aux élections législatives, le corps électoral a répondu très nettement qu'il ne voulait pas de la séparation.

A l'extrême gauche. Jamais de la vie !

M. Georges Berry. Je vais vous le prouver.

Vous savez qu'en 1881 se produisit en France un grand mouvement, plus factice que réel d'ailleurs, en faveur de la séparation des Eglises et de l'Etat ; la plupart des programmes électoraux posèrent la question et la grande majorité des électeurs se prononça contre la dénonciation du Concordat. (Applaudissements à droite et sur divers bancs.)

La Chambre consultée à cette époque repoussa la suppression à une majorité de 300 voix.

Je ne veux pas, messieurs, passer en revue toutes les périodes électorales et j'arrive à la dernière.

J'ai pris soin de faire le relevé des professions de foi contenues dans le livre publié par notre collègue, M. Fouquet, et je suis arrivé à ce résultat : en 1902, 269 élus se sont occupés de la question ; 140 ont affiché qu'ils étaient contre la séparation et 129 qu'ils étaient pour cette séparation.

M. Octave Chenavaz. M. Fouquet a fait un compte absolument inexact. Il n'a pas analysé toutes les circulaires et déclarations écrites faites par les candidats.

M. Georges Berry. Ce n'est pas lui qui a fait ce compte ; c'est moi.

M. Octave Chenavaz. M. Fouquet a fait entrer dans son calcul, comme n'ayant pas dans leur mandat la séparation, des députés qui ont reçu ce mandat depuis longtemps et qui, tout en le maintenant de plano, comme la révision de la Constitution, ne l'ont pas renouvelé dans toutes leurs affiches ou circulaires aux dernières élections. Je suis de ces derniers et c'est pourquoi je dis que les chiffres de M. Fouquet sont inexacts.

M. Georges Berry. Mon cher collègue, je n'ai tenu aucun compte des professions de foi qui ont laissé de côté la question de séparation ; j'ai dit que 269 députés en avaient parlé ; vous n'êtes pas de ceux-là, je ne vous mets pas en cause.

269 députés s'en sont occupés ; 140 ont déclaré qu'ils voteraient « contre », 129 ont déclaré qu'ils voteraient « pour ». Voilà la situation exacte des partis.

Mais, si je laisse de côté tous ceux de nos collègues qui sont des partisans de la séparation et qui n'en ont pas parlé, vous m'avouerez, messieurs, que je ne peux pas passez sous silence, ceux qui s'étant déclarés d'une façon formelle les adversaires de la séparation des Eglises et de l'Etat, ont sans souci de leurs anciennes déclarations voté, le 10 février 1905, le principe même de cette séparation.

J'ai relevé les noms de quelques-uns de nos collègues qui sont dans ce cas — j'aurais pu en citer un grand ombre : cependant, je ne veux pas être trop sévère, espérant que quelques-uns reviendront à des sentiments plus justes. (Mouvements divers.)

A l'extrême gauche. Le scrutin le dira.

M. Georges Berry. J'ai donc relevé les noms de plusieurs de nos collègues, anti-séparatistes hier, et séparatistes aujourd'hui. C'est ainsi que M. Galy-Gasparrou, par exemple, qui déclare d'une façon nette dans sa profession de foi « qu'il est partisan absolu du Concordat », vote, dans la séance du 10 février 1905, la discussion immédiate de la séparation.

Un ministre de M. Combes qui, pendant longtemps, a été antiséparatiste, qui a soutenu cette opinion dans toutes ses manifestations électorales, se disait lors des dernières élections notamment :

« Partisan de toutes les libertés et en particulier de la liberté de conscience, affirmant qu'il voulait voir l'Etat et l'Eglise traiter loyalement sous le régime concordataire. »

Eh bien M. Maruéjouls, car c'est de lui dont il s'agit, a sans doute oublié le 10 février ses anciennes déclarations puisque, ce jour là, il a voté pour la séparation.

M. Lasies. Il a voté pour la discussion ; ce n'est pas la même chose.

M. Georges Berry. Quand on s'est affirmé adversaire de la séparation, on commence par ne pas voter la discussion sur la séparation, sinon on repousse l'opinion qu'on a soutenue devant ses électeurs.

M. Lasies. Vous êtes trop sévère. Tout doit se discuter.

M. Eugène Réveillaud. Ce sont là des arguments ad hominem.

M. Georges Berry. Je ne parle pas de vous, mon cher collègue.

M. Eugène Réveillaud. Vous ne mettrez pas en contradiction ; j'ai toujours eu les mêmes sentiments.

M. Georges Berry. Un autre de nos collègues qui cependant a toujours eu jusqu'à présent une attitude conforme à ses principes, M. Cruppi, écrivait dans sa profession de foi en grosses lettres : « Je suis partisan du budget des cultes. »

Lui aussi a voté la discussion de la séparation.

Il en est de même de M. Chapuis, notre honorable questeur, de M. d'Iriart d'Etcheparre, de M. Mercier de la Haute-Savoir ; ils sont vingt-trois dans le même cas, mais je m'arrête pour ne pas fatiguer la Chambre de cette énumération qui cependant prouverait suffisamment combien il serait utile de revenir devant les électeurs avant d'entamer la discussion qui commence aujourd'hui. Après les promesses que vous avez faites dans vos comices électoraux, avez-vous le droit de dire : nous avons changé d'opinion par suite d'une nouvelle situation ? Assurément non. Car vous ne savez pas si, pour les mêmes motifs, vos électeurs ont, eux aussi, changé d'opinion ? Votre strict devoir vous obliger de leur exposer la cause de votre nouvelle manière de voir et de leur demander s'ils sont toujours d'accord avec vous. Le suffrage universel vous répondra et, si sa réponse est affirmative, la séparation sera votée sans grands débats. (Applaudissements à droite et sur divers bancs.)

Les députés n'en ont pas toujours agi ainsi avec le suffrage universel. Je n'étais pas alors dans la politique, mais l'exemple que je vais citer m'est cependant resté dans la mémoire. Un de nos collègues qui siégeait sur ces bancs (la droite), et qui fut remplacé plus tard par M. Bansard des Bois, M. Dugué de la Fauconnerie, se trouva en désaccord avec ses électeurs sur un point de son programme, il n'hésita pas, il donna sa démission et se représenta devant ses électeurs, qui leur donnèrent tort et le remplacèrent.

M. le baron de Mackau. C'est absolument exact !

M. Georges Berry. Ce fut un honnête homme et un loyal représentant ; je désirerais que tous ici s'inspirassent de cet exemple. (Très bien ! Très bien ! sur divers bancs.)

M. Fabien Cesbron. Vous pourriez rappeler aussi le cas de Janvier de la Motte.

M. Georges Berry. Vous affirmez dans toutes les pages de votre rapport, monsieur Briand, que les électeurs ayant pour la plupart changé d'opinion sont à présent anti-concordataires. La dernière élection de la Seine-Inférieure, qui a eu lieu dimanche dernier, va vous répondre.

Deux candidats étaient en présence ; l'un se recommandant du bloc, l'autre, M. Quesnel, républicain libéral. Eh bien ! chose curieuse qui va à l'encontre de votre thèse, tous deux se sont déclarés les adversaires de la séparation, mais celui qui se prononça