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qu’il eût été plus expédient de procéder au vote de la proposition de M. Berry à la fin de la discussion générale. La discussion générale comportera l’examen au fond de la loi, et c'est la raison pour laquelle quelques-uns de mes collègues et moi nous nous abstiendrons. (Très bien ! très bien ! au centre.)

M. Georges Berry. J'accepte de reporter le vote sur ma proposition à la fin de la discussion générale. (Bruit à l'extrême gauche.)

M. le président. Vous ne pouvez pas empêcher la Chambre de se prononcer sur une proposition qu'elle vient précisément de discuter.

M. Charles Benoist. M. Berry retire provisoirement sa proposition.

M. Georges Berry. Alors je retire provisoirement ma proposition, en me réservant de la reprendre après la discussion générale. (Dénégations à l'extrême gauche.)

M. César Trouin et plusieurs membres à gauche. Nous la reprenons.

M. le président. M. Trouin et plusieurs de ses collègues reprennent la motion préjudicielle de M. Berry.

M. Charles Benoist. Nous demandons qu'on nous donne les raisons pour lesquelles la proposition est reprise.

M. le président. Monsieur Benoist vous êtes un parlementaire trop expérimenté pour ignorer que c'est une pratique courante.

M. Charles Benoist. C'est incorrect au point de vue parlementaire.

M. le président. Je mets aux vois la motion préjudicielle de M. Berry, reprise par M. Trouin et ses collègues. (Bruit à droite.)

M. Charles Benoist. Mais c'est tout à fait incorrect au point de vue parlementaire ; on a fait une proposition nouvelle qui n'a pas été discutée !

M. Albert-Poulain. Le vote est commencé.

M. le président. Non, tant que le président n'a pas déclaré le scrutin ouvert, le vote n'est pas commencé.

M. Charles Benoist. Qu'on nous dise pourquoi on reprend une proposition retirée par son auteur.

M. le rapporteur. Pour ne pas perdre du temps en recommençant une discussion qui vient d'avoir lieu.

M. Georges Berry. Je demande le renvoi de ma motion à la commission. Cette proposition ne soulève pas la même difficulté et elle a la priorité. (Exclamations à gauche et à l'extrême gauche.)

M. le président. Messieurs, je vous en prie, dans une discussion aussi sérieuse, évitons ces incidents.

M. le baron Amédée Reille. On demande le renvoi à la commission.

M. le président. Il peut plaire à l'auteur de la proposition de la retirer ; mais quand la discussion a eu lieu, il est normal que des membres de cette Assemblée croient devant appeler la Chambre à se prononcer. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Je mets aux voix la motion de M. Berry, reprise par M. Trouin et plusieurs de ses collègues.

Il y a une demande de scrutin, signée de MM. Jules-Louis Breton, Mirman, Levraud, Rouanet, Fournier, Pajot, Bourrat, Petitjean, Péronneau, Guingand, Albert-Poulain, Cère, Vazeille, Desfarges, Colliard, Cadenat, Ferrero, Gérault-Richard, Chamerlat, etc.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre de votants 
383
Majorité absolue 
192
Pour l'adoption 
40
Contre 
343

La Chambre des députés n'a pas adopté.

Nous passons à la seconde motion préjudicielle, celle de M. l'abbé Gayraud.

J'en donne une nouvelle lecture :

« La Chambre, considérant que la loyauté diplomatique et l'honnêteté politique, non moins que l'intérêt de l'ordre public et de la paix religieuse, exigent que la dénonciation du Concordat, l'abrogation de la loi du 18 germinal an X et la séparation des Eglises et de l'Etat soient faites à l'amiable, décide de surseoir à toute délibération sur le projet de loi relatif à ce sujet et invite le Gouvernement à réunir une commission extraparlementaire de ministres des divers cultes, de concert avec les chefs des Eglises intéressées, afin de préprarer un accord avec ces Eglises sur les conditions de la séparation. »

La parole est à M. l'abbé Gayraud.

M. Gayraud. Messieurs, avant d'entrer dans le développement de la motion que j'ai eu l'honneur de déposer, je dois répondre à un argument de M. le rapporteur.

L'honorable M. Briand nous disait qu'après avoir pris rendez-vous pour discuter la séparation des Eglises et de l'Etat, nous semblions craindre aujourd'hui de voir ce débat s'ouvrir et nous proposions des délais afin d'écarter ce projet de loi qui nous terrorise.

Je voudrais bien savoir à quel moment de la discussion nous aurions pu déposer les motions préjudicielles qui vous sont soumises à cette heure. Je crois que l'honorable M. Berry était depuis longtemps décidé à demander à la Chambre de surseoir jusqu'aux prochaines élections au débat sur la séparation. Quant à moi, j'ai toujours pensé que cette séparation devait être préparée de concert avec les Eglises intéressées : nous était-il possible avant ce jour d'apporter à la tribune des motions dans le but de faire accepter nos idées ? Nous sommes donc obligés d'intervenir aujourd'hui pour demander à la majorité parlementaire qu'elle veuille bien reculer l'heure où s'ouvrira la discussion, dans le but unique de donner au pays le moyen de se prononcer et au Gouvernement, et à la majorité elle-même, le temps de prendre tous les renseignements, toutes les informations nécessaires.

A gauche. Nous les avons.

M. Gayraud. Cette réponse faite à l'honorable M. Briand, je viens à mon sujet.

Messieurs, je ne crois pas que depuis l'Assemblée constituante de 1789, un débat plus important que celui qui s'ouvre aujourd'hui sur la question religieuse ait eu lieu dans une Chambre française. Voilà pourquoi, à mon avis, il importe, dès le début de cette discussion, d prendre nettement position et de s'expliquer en toute liberté et avec une entière franchise.

Vous savez que je ne recule pas devant l'expression de mes pensées ni devant l'affirmation nette et précise de la doctrine catholique. Je vais donc, si vous le permettez, vous dire ici très franchement ce que l'Eglise catholique enseigne et ce que tous les fidèles enfants de cette Eglise croient relativement à la séparation des Eglises et de l'Etat.

Pour nous, messieurs, l'idée des rapports entre l'Eglise et l'Etat ne saurait être la séparation. Notre idéal, c'est l'union de la société civile et de la société religieuse...

M. François Fournier. C'est la domination : celle du pape.

M. Gayraud. ...l'union pour la paix des consciences, pour la tranquillité publique et en même temps pour la prospérité de l'Etat et la liberté de l'Eglise.

M. François Fournier. L'Eglise n'a jamais été en paix avec le pouvoir civil. (Exclamations à droite.)

M. Gayraud. Le régime concordataire de 1901 ne réalise pas cet idéal. (Mouvements divers.) Non, messieurs, ne croyez pas que nous considérons le Concordat de messidor comme l'expression fidèle de la doctrine catholique sur les rapports des deux puissances. Dans ce Concordat l'Eglise est reconnue, non pas comme la vraie religion — ce qu'elle est à nos yeux — mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français.

M. Bepmale. Cela ne vous suffit pas ?

M. Gayraud. D'après ce Concordat, les nominations ecclésiastiques, les nominations des évêques et des curés sont livrées au Gouvernement.

L'Eglise, se trouve, d'après certains articles du traité, dans l'impossibilité de se suffire à elle-meme au point de vue matériel : vous l'avez condamnée à une sorte de mendicité et de salariat.

M. François Fournier. C'est la critique du Concordat que vous faites ! Alors, dénonçons-le ! (Bruit à droite.)

M. Gayraud. De plus, on a ajouté au Concordat des Articles Organiques, qui en sont en grande partie la contradiction formelle, la violation flagrante.

En dernier lieu, je ferai remarquer que la manière dont le Concordat a été appliqué, surtout dans ces derniers temps, a fait de lui un instrument d'oppression contre l'Eglise et contre les consciences catholiques. (Protestations à gauche.)

Et je me souviens que les cardinaux français dans la lettre qu'ils écrivirent en 1892 au Gouvernement de la République, ne craignaient pas de dire que, si le pape Pie VII avait prévu que le Gouvernement français dût se servir du Concordat comme d'un instrument d'oppression contre l'Eglise, jamais il ne se serait résolu à apposer sa signature au bas de cette convention.

A l'extrême gauche. Qu'est-ce qu'ils en savaient ? (On rit.)

M. Gayraud. Je vous en prie, messieurs, veuillez me permettre de développer ma pensée dans le calme. J'ai besoin, ici, croyez-le, de toute ma tranquillité d'esprit. (Parlez ! parlez !)

M. le président. Chaque orateur y a droit.

M. Gayraud. Vous le voyez, je ne regarde pas le Concordat de 1801 comme l'idéal des rapports entre l'Eglise et de l'Etat. Cependant je n'hésite pas à déclarer que je préfère encore ce régime concordataire à la séparation que vous nous apportez (Interruptions à gauche.) et il est facile d'expliquer mon sentiment. Par la séparation l'Eglise deviendra en réalité, dans ce pays, une association semblable à toutes les autres.

M. Jumel. C'est ce qu'il faut !

M. Gayraud. Le caractère divin qui, aux yeux de notre foi, lui appartient, sera méconnu, nié par la loi et par le Gouvernement de ce pays. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.) Elle perdra le bénéfice de la reconnaissance et de l'appui de l'Etat. D'autre part, l'Etat lui-même, par la séparation perd son autorité sur le clergé et compromet gravement les avantages que sa qualité de première nation catholique lui faisait dans le monde. (Exclamations à gauche. — Très bien ! très bien ! à droite.)

Voilà pourquoi je préfère le régime concordataire, même tel qu'il a été réalisé chez nous par la convention de messidor an IX et la loi du 18 germinal an X, au régime séparatiste pris en soi, et surtout à celui que vous vous proposez de réaliser.

Il n'est donc pas étonnant que, dans mon