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lucidité, s'inquiétant jusqu'à son dernier moment de ses concitoyens blessés.

Détail bien tragique : le médecin qui l'avait soigné a dû l'inhumer lui-même sous quelques centimètres de terre. A ses côtés avait été tuée la mère de notre collègue M. Triballet.

Nous avons éprouvé dans notre personnel des pertes, non encore dénombrées qui nous sont, elles aussi, cruellement sensibles.

D'autres peines nous attendent sans doute, mes chers collègues. Nous ne connaissons encore ni les disparus ni les prisonniers. Un voile funèbre s'étend sur notre Assemblée et nous cache peut-être encore bien des pertes.

A ces deuils s'ajoutent tous ceux de nos collègues qui ont été frappés dans leurs affections les plus chères. A leur chagrin nous demandons la permission de nous associer.

Au reste, cet hommage, la Chambre voudra l'étendre à l'ensemble de nos soldats morts, comme elle salue le courage de nos armées, devant lequel l'adversaire lui-même s'est incliné.

Mes chers collègues, si l'on veut bien méditer sur de tels sacrifices, comme on se sent éloigné des passions qui pourraient tendre encore à se manifester ! Celui qui est mort à la guerre est mort pour tous. Ce serait lui manquer de respect d'élever sur sa tombe à peine fermée des récriminations, des controverses de nature à diviser la famille française pour laquelle il a donné son sang. Et comment, alors que le sol français n'est pas libre, ne serions-nous pas contraints de nous imposer à nous-mêmes la discipline la plus rude ?

Au lendemain des grands désastres, on cherche des responsabilités. Elles sont de divers ordres. Elles se dégageront. L'heure de la justice viendra. La France la voudra sévère, exacte, impartiale. Cette heure-ci n'est pas l'heure de la justice : elle est celle du deuil. Elle doit être celle de la réflexion, de la prudence.

Autour de M. le maréchal Pétain, dans la vénération que son nom inspire à tous, notre nation s'est groupée en sa détresse. Prenons garde à ne pas troubler l'accord qui s'est établi sous son autorité.

Nous aurons à nous réformer, à rendre plus austère une République que nous avions faite trop facile, mais dont les principes gardent toute leur vertu. Nous avions à refaire la France. Le destin de cette œuvre dépend de l'exemple de sagesse que nous allons donner.

Notre pays, notre grand pays, notre cher pays renaîtra, je le crois de toute mon âme.

Messieurs, vive la France ! (Vifs applaudissements prolongés sur tous les bans.)


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DÉPÔT, AVEC DEMANDE DE DISCUSSION IMMÉDIATE, D'UN PROJET DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le président du conseil, avec demande de discussion immédiate, un projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles.

Le projet de résolution sera imprimé, distribué et, s'il n'y a pas d'opposition, renvoyé à la commission du suffrage universel.

Conformément aux dispositions de l'article 96 du règlement, le débat ne pourra commencer que dans une heure.

La séance est suspendue pour permettre à la commission de se réunir.

(La séance, suspendue à neuf heures cinquante minutes, est reprise à dix heures cinquante minutes.)

M. le président. La séance est reprise.


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DISCUSSION, APRÈS DEMANDE DE DISCUSSION IMMÉDIATE, D'UN PROJET DE RÉSOLUTION TENDANT À RÉVISER LES LOIS CONSTITUTIONNELLES

M. le président. En vertu de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande à la Chambre la discussion immédiate du projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles.

La parole est à M. Mistler, pour déposer et lire le rapport fait au nom de la commission du suffrage universel.

M. Jean Mistler, rapporteur de la commission du suffrage universel. Messieurs, dans la stupeur qui a suivi nos désastres, la conscience du pays a senti nos désastres, la conscience du pays a senti la nécessité, si nous voulons refaire la France, de réformer profondément les institutions politiques, dont la marche, déjà difficile en temps de paix, s'est révélée tragiquement insuffisante dans l'épreuve.

De nombreuses propositions avaient été faites avant la guerre en vue d'une réforme de l'État. Elles n'ont jamais abouti.

Aujourd'hui, c'est sur le principe même d'une révision des lois constitutionnelles que la Chambre est appelée à statuer à la demande du Gouvernement que préside le maréchal Pétain, ce grand soldat qui, dans notre deuil national, porte, sur son visage, le reflet de nos victoires d'hier, l'espoir de notre renaissance de demain. (Vifs applaudissements unanimes.)

Il ne s'agit pas pour la Chambre, en ce moment, de discuter le fond de la proposition qui nous est soumise et dont l'article unique est ainsi conçu :

« La Chambre des députés déclare qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. »

Cette discussion de fond aura lieu demain devant l'Assemblée nationale qui, dans sa souveraineté, déterminera la forme de ce débat.

En ce moment, la question qui nous est posée est plus simple. Chaque Français estime qu'il faut que bien des choses changent dans notre pays. C'est à nous, parlementaires, de donner forme légale à cet espoir.

Aussi la commission du suffrage universel m'a-t-elle donné, à l'unanimité des vingt-trois membres présents, mandant de rapporter favorablement l'article unique du projet gouvernemental.

Le Parlement, dont la souveraineté, devenue de plus en plus théorique, était en fait ligotée de mille entraves, a été, hier, comme aujourd'hui, chargé par certains de toutes les responsabilités.

Il en est, à coup sûr, qui sont les siennes. Il en est d'autres, et plus graves, qui ne lui sont aucunement imputables. Nous voulons qu'elles soient toutes recherchées. Nous voulons que leur châtiment soit impitoyable.

Mais c'est là une partie de l'œuvre de demain.

Aujourd'hui, en permettant, comme le Gouvernement le lui demande, l'immense effort de reconstruction du pays, dans l'ordre et dans la légalité républicaine, le Parlement donne un exemple que tous, dans toutes les classes de la nation, et dans toutes nos provinces, celles qui sont libres et celles qui supportent le poids de l'occupation, devront suivre s'ils veulent que la France revive, s'ils veulent que, de nouveau, elle soit égale à son magnifique passé, à son millénaire destin. (Vifs applaudissements.)

M. le président. Il n'y a pas d'opposition à la discussion immédiate ?...

La discussion immédiate est ordonnée.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Laval, vice-président du conseil.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Messieurs, j'ai été invité à assister, il y a quelques instants, à la séance de la commission du suffrage universel. J'ai fait une suggestion que la commission a acceptée à l'unanimité et que je désire soumettre à la Chambre qui, je l'espère, voudra bien l'adopter à son tour.

Je désire qu'aucun débat sur le fond ne s'institue aujourd'hui et que vous acceptiez que, demain matin, à neuf heures, dans une réunion générale préliminaire, à la laquelle assisteraient à la fois le Sénat et la Chambre, on aborde le fond.

Je répondrai à toutes les questions, à toutes les objections. Ceux d'entre vous qui étaient inscrits ou qui voudraient se faire inscrire pourront demain exprimer librement leur opinion.

Je crois que cette procédure est la meilleure. Si vous la rejetiez, vous m'obligeriez à instituer cet après-midi et à recommencer demain le même débat.

Il s'agit donc uniquement d'une question de procédure, sur laquelle, je pense, aucun désaccord ne s'élèvera entre nous.

Je remercie la commission du suffrage universel d'avoir voté à l'unanimité le projet du Gouvernement. J'y vois le présage que, sur le fond du projet qui a été déposé et sera soumis demain à l'Assemblée nationale, la même unanimité se manifestera, ce dans l'intérêt de la France (Applaudissements.)

Sur divers bancs. Aux voix !

M. le président. Vous venez d'entendre la proposition de M. le vice-président du Conseil.

Dans ces conditions, les orateurs inscrits voudront peut-être renoncer à la parole ? (Assentiment.)

M. le président. En conséquence, la discussion générale est close.

Je consulte la Chambre sur le passage à la discussion du projet de résolution.

(La Chambre, consultée, décide de passer à la discussion du projet de résolution.)

M. le président. Je donne lecture du projet de résolution :

« Article unique. — La Chambre des députés déclare qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. »

Je vais consulter la Chambre.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Le Gouvernement demande le scrutin.

M. le président. Je mets aux voix, par scrutin, le projet de résolution.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre de votants 
398
Majorité absolue 
200
Pour l'adoption 
395
Contre 
3

La Chambre des députés a adopté.