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quels nous sommes restés immuablement fidèles et que nous observerons jusqu'au jour où le peuple français libéré pourra exprimer ses volontés normalement, c'est-à-dire par le suffrage universel. (Applaudissements.) En le faisant, nous n'avons en vue que de sauvegarder au milieu de la plus grave tourmente de notre Histoire, l'unité nationale en lui offrant le centre autour duquel elle se maintient moralement et matériellement.

Mais, s'il est vrai que des élections générales constituent la seule voie par où doive un jour s'exprimer la souveraineté du peuple, il reste que le pays, quoique écrasé et baillonné, manifeste par mille signes évidents quels sont ses sentiments profonds. La résistance, sous ses multiples formes, est devenue la réaction fondamentale de la masse des Français. Sans doute, étant donné les moyens terribles de destruction dont disposent l'ennemi et ses complices, la pénurie d'armement de nos combattants de l'intérieur, la captivité en Allemagne de plus de deux millions d'hommes, la continuelle décimation des chefs, la mort de beaucoup sur les champs de bataille et aux poteaux d'exécution, l'inquisition permanente, la famine généralisée, l'impossibilité des réunions, les extrêmes difficulté de circulation et de correspondance, la nature même de notre pays, si perméable aux mouvements militaires, c'est-à-dire à la répression, la résistance intérieure française ne se présente-t-elle pas comme une armée livrant des combats réguliers sur le sol national.

Cependant, elle est partout, acharnée et efficace. Elle est dans l'organisation réalisée en France même et que synthétise notre Conseil national de la résistance, auquel nous adressons notre salut fraternel. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.) Elle est dans les usines et dans les champs, dans les bureaux et dans les écoles, dans les rues et dans les maisons, dans les nerfs et dans les pensées. Elle est dans les héroïques troupes de combat qui saisissent chaque occasion de nuire à l'ennemi et de châtier les traîtres. Elle est dans ces hommes et ces femmes qui, depuis trois ans, trois mois et seize jours viennent, par d'incroyables évasions, rejoindre nos forces en campagne. Si l'on ajoute que l'Empire, à mesure qu'il fut libéré, a apporté à la guerre toutes ses ressources en effectifs, en travail, en matières, que jamais nos drapeaux n'ont déserté les champs de bataille, qu'à l'heure qu'il est 500.000 combattants attendent, avec quelle impatience que leur soit donné la possibilité physique de rencontrer l'ennemi au delà de la mer, nul n'a le droit de nier que la nation ait choisi la lutte, qu'elle offre à son idéal des sacrifices incalculables et qu'elle ait mis toute sa résolution dans la victoire, toute sa foi dans la liberté, tout son espoir dans un avenir de justice et de renouveau. (Applaudissements.) La résistance, telle est aujourd'hui l'expression élémentaire de la volonté nationale.

C'est pourquoi, bien que la démocratie ne puisse être restaurée dans ses droits et dans ses formes que dans une France libérée, le Comité de Libération nationale a voulu, dès que les événements le lui eurent permis, donner aux pouvoirs publics provisoires un caractère aussi démocratique que possible en appelant à l'éclairer et à la soutenir une assemblée consultative où les représentants de la résistance nationale se trouvent côte à côte avec des élus du peuple, tous pourvus d'un mandat qualifié.

Messieurs, pour mesurer à la fois l'étendue de la tâche qui attend l'Assemblée et celle des difficultés qu'elle affronte pour l'accomplir, il n'est que de se représenter ce que seront les étapes qui séparent encore la nation de son but. Ces étapes, nous pouvons dès à présent les définir.

D'abord, nous faisons la guerre ! Voir l'ennemi chassé de chez nous, le frapper jusqu'à ce qu'il ait capitulé à la discrétion des vainqueurs, faire en sorte que la contribution de la France à l'effort commun soit aussi forte que nous le permettent les moyens dont nous disposons, c'est pour nous un impératif catégorique. La France a pu fléchir naguère, tandis que d'autres ont pu tergiverser. Aujourd'hui, pour la France comme pour toutes les nations qui sont liguées contre l'Axe, c'est un devoir sacré de déployer le plus grand et le plus rapide effort possible. Au surplus, notre redressement ne sera réalisable que dans l'atmosphère d'une victoire à laquelle la nation aura participé.

Or, dans cette lutte totale, l'effort de guerre est un tout qui exige la cohésion nationale autant que matérielle. La France qui se bat n'admet qu'une seule politique dont tous les éléments de ses forces doivent être les instruments. Avec nous, Messieurs, vous exprimerez cette politique. Aujourd'hui, nos armées renaissantes, nos armées que naguère une préparation mauvaise et une stratégie défaillante avaient jetées dans le désastre, nos armées que la trahison de Vichy avait tout fait pour dévoyer, mais nos armées qui, malgré tout, n'ont jamais souhaité que la bataille contre l'ennemi, sont purement et simplements les armées de la nation. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.) Nos drapeaux, d'abord redressés par les exploits de Keren, de Bir-Hakeim (Applaudissements répétés sur tous les bancs) et du Fezzan, par les prouesses de nos escadrilles de Grande-Bretagne, de Libye, de Russie, par les durs services à la mer de nos bâtiments à Croix de Lorraine (Vifs applaudissements sur tous les bancs), ont vu l'épreuve et la gloire les réunir dans les batailles de Tunisie et lors de la libération de la Corse. (Applaudissements.) Je puis dire que des unités ardentes et pourvues du meilleur matériel s'apprêtent, sur terre, sur mer et dans les airs, à faire sentir une fois de plus à l'ennemi le poids des armes de la France. L'effort de ces bons soldats sera conjugué, au moment voulu, avec celui des combattants qui se préparent en secret sur le sol de la patrie. Dans les uns comme dans les autres, notre peuple a placé son amour et son espérance. (Très bien.) Les uns comme les autres ne sont au service de personne, excepté de la nation. (Applaudissements répétés.) Est-il besoin d'ajouter que le Comité de la Libération, soutenu par l'Assemblée, saura veiller, s'il en était besoin à ce que rien ne vienne désormais séparer du peuple français, aucune fraction de ses soldats.

Tandis que la France s'unit de toute son âme et de toutes les forces qui lui restent à l'action de ces peuples qui luttent pour la liberté, elle garde, malgré ses malheurs, la conscience d'être ce qu'elle est, je veux dire une grande nation. De là chez elle le sentiment profond que la méconnaissance de ses droits et de sa dignité constituerait d'abord une injustice, ensuite et surtout une erreur. Parmi toutes les fautes et toutes les faiblesses qui ont mené le monde à l'épreuve inouïe qu'il traverse, notre pays ne se dissimule pas les siennes. Mais faisant à l'avance le terrible bilan de ce que cette guerre lui aura coûté et mesurant d'autre part à quel point se sont accrues, dans le sang et dans les larmes, sa résolution d'être grand et son ardeur à entreprendre, il sait devoir retrouver les éléments séculaires de sa valeur. En outre, les événements présents l'ont confirmé dans le sentiment qu'il devait reprendre, à l'avantage de tous, son grand rôle international. La France croit que toute affaire européenne et toute grande affaire mondiale qui seraient réglées sans elle ne seraient pas de bonnes affaires. (Applaudissements répétés.) Elle le croit pour des raisons qui sont inscrites sur la carte, dans l'Histoire et dans la conscience universelle. Elle le croit aussi parce que de tels règlements se trouveraient inadéquats au moment dû, tôt ou tard, elle aura retrouvé ces éléments indispensables à l'équilibre général que sont sa puissance et son influence. C'est pourquoi le Comité de la Libération Nationale revendique dès à présent la possibilité de présenter parmi les grandes nations les solutions que la France estime nécessaire de voir apporter aux règlements de cette guerre et à l'organisation du monde qui la suivra. En cette matière, notamment, l'appui et le concours prêtés par l'Assemblée Consultative au Comité de la Libération seront comme la voix du pays perçant son baillon. (Applaudissements.)

Messieurs, s'il serait vain de prévoir le nombre de semaines ou de mois qui séparent encore le pays du jour de sa libération, la tournure de la guerre est telle que l'échéance peut être assez proche. Mais, que la durée de l'épreuve doive être encore longue ou courte, son terme placera le pays devant une situation physique, politique, morale et extérieure d'une extrême complexité. La nécessité de vivre, alors que la fin des combats laissera notre sol blessé par d'innombrables destructions et vidé de toutes réserves d'aliments et de matières premières, l'obligation de rétablir partout, comme nous le faisons ici, dans l'ordre et dans la dignité, l'autorité de la République sur les ruines honteuses du régime de Vichy (Applaudissements), le devoir d'assurer rapidement et rigoureusement la justice de l'Etat qui est la seule valable et admissible, les changements à opérer dans les administrations centrales et locales, le retour de notre jeunesse prisonnière ou déportée, poseront au Comité de Libération de nombreux et difficiles problèmes, en présence de forces, amicales certes, mais étrangères, et dont il est inévitable que la psychologie ne coïncide pas toujours exactement avec la nôtre. Il est vrai que nous sommes assurés d'être aidés dans cette tâche par la confiance générale du peuple français qui comprend d'avance parfaitement bien la nécessité vitale de se serrer d'enthousiasme et avec discipline autour du pouvoir central. Il est vrai aussi que, dès que possible, une représentation provisoire du peuple permettra au gouvernement consacré par elle de s'affirmer et de s'affermir. Il n'en demeure pas moins urgent et nécessaire de préparer dès à présent les dispositions à prendre à tous égards. Les travaux et les avis de votre Assemblée nous seront, dans cet ordre d'idées, d'un prix inestimable. (Très bien.)

Tout ce que nous ferons dans le présent et préparerons pour l'avenir n'aurait aucune valeur ni aucune signification si nous ne nous inspirions directement de l'ardent mouvement de renouveau qui anime en secret la nation française, et dont votre Président d'âge parlait tout à l'heure si éloquemment. Les hommes qui, au dedans et au dehors de chez nous, imagineraient que la France, une fois libérée, retrouvera la même figure politique, sociale, morale, qu'ils lui ont naguère connue, commettraient une complète erreur (Applaudissements). La France aura subi trop d'épreuves et elle aura trop appris sur son propre compte et sur le compte des autres pour n'être as résolution à de profondes transformations. Elle veut faire en sorte que désormais la souveraineté nationale puisse s'exercer entièrement, sans les déformations de l'intrigue et sans les pressions corruptrices d'aucune coalition d'intérêts particuliers (Applaudissements). Elle veut que les hommes qu'elle chargera de la gouverner aient les moyens de le faire avec assez de force et de continuité pour imposer à tous au-dedans la puissance suprême de l'Etat et poursuivre au-dehors des desseins dignes d'elle. Elle veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la nation (Très bien. Très bien.), où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens dont, cependant, elle dépendait (Applaudissements). Elle veut que les biens de la France profitent à tous les Français, que sur ses terres, pourvues de tout ce qu'il faut pour procurer à chacun de ses fils un niveau de vie digne et sûr, complétées par un Empire fidèle et doté de vastes ressources, il ne puisse plus se trouver un homme ni une femme de bonne volonté qui ne soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d'alimentation, d'habitation, de loisirs, d'hygiène, de pouvoir multiplier, faire instruire, voire rire, joyeusement, ses enfants (Très bien. Très bien. Applaudissements répétés). La France veut que soient honorées et favorisées les valeurs spirituelles, intellectuelles, morales qui ont fait sa grandeur et son rayonnement (Très bien.