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boration, et nous faciliterons ainsi le développement souhaitable des attributions si modestes de cette Assemblée.

Contre le principe essentiel de la souveraineté nationale, si profondément ancré au cœur des Français, au point que l'esprit républicain qui les anime est devenu un idéal pour tous les peuples qui veulent être libres, une réaction s'est dressée au lendemain de la première guerre mondiale, elle a atteint le maximum de sa puissance dans tous les pays de l'axe, les dirigeants et les satellites. Par le formidable appareil de police qu'ils ont développé, par la délation et par le mouchardage, par la violence et par la terreur, les totalitaires ont pu gouverner contre les nations. Suivant l'expression prophétique de Jaurès : « le pouvoir est tombé aux mains de bandes campées dans la nation. » (Applaudissements.)

La France ne veut pas cela. Chez elle la démocratie n'est pas morte. Elle reste vivante dans l'âme des Français, par la résistance elle manifeste sa force et sa vie.

Sans doute n'a-t-elle encore que l'expression rudimentaire, mais noble et courageuse, des comités de résistance. Mais demain quand des temps plus calmes seront revenus avec la victoire d'une France qui aura reconquis sa liberté et la maîtrise de ses destinées, quand se présentera la formidable tâche de reconstruire la pays libéré, quand il faudra rendre vivante et prospère notre Patrie aujourd'hui meurtrie, ensanglantée et asservie, il faudra le plus vite possible répondre au vœu impérieux de la nation, et reconstruire une démocratie formelle, assurant une consultation régulière de l'opinion et un respect certain de la volonté populaire.

Et voici qu'entreprise par les totalitaires pour établir leur domination universelle sur les ruines de la liberté et de la civilisation, cette guerre va aboutir au triomphe de ces démocraties que l'on croyait anéantir.

C'est une véritable révolution qui s'annonce pour les peuples.

L'esprit de Montoire sera à jamais disparu.

Les vieilles formules d'anti-démocratie, d'anti-communisme, le racisme odieux et sauvage avec lesquelles les ennemis avaient réussi à étouffer chez bien des gens l'esprit national, disparaîtront sans retour, nous l'espérons.

Une tâche immense s'imposera aux hommes ; celle de reconstruire sur les ruines matérielles et morales, une France jeune pleine de vie où régnera la vraie justice, généreuse et inflexible. (Très bien. Très bien.)

Pour cet effort il faudra penser moins aux divisions qui ont entraîné le pays vers le désastre, mais davantage aux moyens par lesquels l'union régénératrice des Français peut-être assurée.

Dès maintenant il faut porter à son maximum l'esprit de guerre. Le développement des forces de notre Empire est, nous le savons, le souci constant du Comité qui sait pouvoir compter sur la valeur et le courage de nos armées.

Il faut assurer et faciliter la résistance de la France.

La France prête attend avec une impatience qui grandit chaque jour, l'arrivée des armées françaises, anglaises et américaines. Ceux de France, qui n'ont jamais douté de sa force et de son ardeur combattive, sont prêts à tous les sacrifices pour le dernier effort de libération. (Applaudissements.)

Il faut avec toutes les forces et tous les moyens de notre Empire, les aider pour qu'ils puissent à cette heure tant attendue, avec le concours des glorieuses nations alliées dont nous saluons les drapeaux, achever la déroute des barbares et libérer le sol de la Patrie.

Nous sommes en guerre politiquement et militairement. La volonté de redressement doit se manifester dans toutes les activités politiques, économiques et administratives du pays. Le pays ne désire pas qu'il soit composé avec les difficultés ; il attend des hommes responsables l'énergie de les vaincre.

La régénération ne sera pas chose facile. Les combattants de la France à l'Etranger devront trouver leur place dans la nouvelle vie nationale ; les hommes qui par centaines de milliers ont été envoyés au travail forcé en Allemagne grâce à la trahison ; le million et demi de prisonniers de guerre, devront à leur retour retrouver en même temps que l'appui fraternel des Français leur part de coopération à l’œuvre de redressement, comme ils devront définir sur quelles bases ils voudront reconstruire leur vie.

La situation de notre monnaie, le problème démographique, celui de la santé publique, compromis par des années de privation et de misère, le ravitaillement, la reconstruction de l'industrie et de l'agriculture sont autant d'angoissants problèmes sur lesquels déjà le Comité s'est penché avec attention. Mais pour réussir avec quelques chances de succès cette formidable tâche, il lui faut compter sur une administration dégagée au maximum du formalisme et de la routine, animée d'un esprit nouveau qui la place à l'unisson de la volonté populaire.

L'expulsion, et parfois plus que l'expulsion, de la vie administrative et politique de tous les hommes qui ont collaboré avec Vichy et, par l'intermédiaire de Vichy, avec l'Allemagne, est, dès maintenant, une condition essentielle de réussite. (Très bien. Très bien.)

Il faut faire pleine confiance au peuple français qui prouve si hautement dans la tourmente son esprit de civisme, assurer le respect intégral de la liberté, de toutes les libertés inscrites dans notre inoubliable déclaration des Droits de l'Homme, qui reste la charte des Français libres. (Très bien. Très bien.)

Le peuple français sait parfaitement ce qu'il veut, il attend de cette guerre de libération que soient détruits à jamais les fascismes fauteurs de guerre et d'oppression. Il souhaite de toute l'ardeur de son âme que se construise une démocratie véritable, une démocratie où dans la liberté les hommes sentent bonne la vie ; où les richesses de la production qui doivent être le résultat de l'effort persévérant de tous, soient équitablement réparties selon les besoins de la communauté ; une France digne, forte et grande, maîtresse de son avenir, et dont le destin ne soit plus comme hier, commandé par les féodalités de l'argent responsables de nos détresses. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Il faut faire confiance au peuple de France, nous ne le demandons pas seulement au Gouvernement de la France, nous le demandons instamment à nos amis et alliés, aux magnifiques démocraties anglaise et américaine (Applaudissements) qui, avec les grands chefs qui commandent à leurs destinées, ont généreusement compris que la France ne méritait pas qu'on la rendit responsable de la trahison dont elle souffre ; à l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui étonne le monde par les coups si rudes que la vaillance de son peuple porte mortellement à l'ennemi (Applaudissements) ; à tous les Etats coalisés dans la grande croisade de la civilisation ; aux Nations sœurs aujourd'hui subjuguées et martyres, mais qui retrouveront bientôt avec nous, le climat bienfaisant de la liberté.

La France libérée aura besoin de toute l'aide et de toute l'amitié des Nations Unies ; son redressement sera d'autant plus rapide, que lui seront dispensées plus généreusement cette aide et cette amitié et nous remercions nos amis de comprendre que la reconstruction française accomplie avec une aide dont nous leur sommes reconnaissants est une affaire française, une affaire qui concerne les Français qui ont supporté le lourd fardeau de ces années tragiques.

Nous remercions nos amis et alliés de faire confiance à ces masses françaises qui ont fait de leur pays la seconde patrie de chaque homme aux yeux de qui la vie civilisée est une cause pour laquelle il est digne de mourir.

Cette France reprendra bientôt sa place dans le concert des nations. Avec elles, nous l'espérons fermement, elle construira une paix saine, honnête, durable, préservée du retour des présentes horreurs ; avec elles, elle bâtira une Europe nouvelle, un monde nouveau où les peuples collaboreront, loin des haines, à l'harmonie et au bonheur humain.

Nous remercions tout particulièrement les services qui ont travaillé avec diligence à l'organisation matérielle de l'assemblée qui est en tous points réussie.

Mes chers collègues, au cours des débats que vous allez engager, n'oubliez jamais que vous représentez la France, la France toujours généreuse et idéaliste, qui met son espoir en vous, la France immortelle qui ne renonce jamais ni à son intégrité, ni à son indépendance, ni à son prestige.

Par votre consciencieux labeur, par le dignité de vos discussions, de vos attitudes, vous devrez forger avec elle et pour elle un avenir qui soit resplendissant et radieux.

Permettez à l'ancien qui vous parle de le dire. Vous ne ferez jamais trop pour vous montrer digne d'Elle. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.)


DISCOURS DU GENERAL DE GAULLE
Président du Comité français de la Libération nationale

M. le Président. — La parole est à M. le Général de Gaulle, président du Comité français de la Libération nationale.

(MM. les délégués se lèvent et applaudissent longuement.)

Le Général de Gaulle. — Messieurs,

En saluant à sa première séance l'Assemblée consultative provisoire, le Comité de la Libération nationale entend d'abord marquer sa profonde satisfaction de voir réaliser, malgré d'extraordinaires obstacles, une réunion qu'il a provoquée et que souhaite la nation luttant pour sa vie et pour sa liberté. Le Comité veut en même temps manifester sa résolution de collaborer de la manière la plus large et, je n'ai pas besoin d'ajouter, la plus confiante, avec une Assemblée qui lui apporte, dans sa grande et lourde tâche, le concours d'une opinion qualifiée, autant que les circonstances le permettent pour exprimer ce que désirent et ressentent les Français. Enfin le Comité tient à témoigner hautement toute la considération qu'il éprouve à l'égard de représentants de l'héroïque résistance française et d'hommes qui, chargés naguère d'un mandat du peuple, savent s'en montrer dignes dans les terribles dangers courus par le France et par la République. (Applaudissements.)

En vérité, il serait vain, dans les conditions sans exemple où se trouve actuellement le pays, de vouloir chercher un précédent historique à la création de l'Assemblée consultative, ou bien des textes législatifs qui puissent lui fournir une base littéralement légale. Les institutions de la France ont été détruites par l'occupation et l'usurpation. Abusant de la détresse du peuple stupéfié par le désastre militaire, et violant même leurs propres engagements, des hommes ont établi appuyés sur l'ennemi avec lequel ils prétendent collaborer sur le sol de la Métropole un régime abominable de pouvoir personnel, de mensonge et d'inquisition. (Applaudissements.) Usant de tous les moyens imaginables de pression sur les corps de l'Etat et les individus, ces gens ont, littéralement, mis au cachot de la nation souveraine. Dès lors, le salut de la patrie devenait la loi suprême. Il nous a fallu créer des pouvoirs provisoires afin de diriger l'effort de guerre de la France et de soutenir ses droits. Ces pouvoirs sont, par avance, soumis au jugement de la nation dès qu'elle pourra l'exprimer et, en attendant, respectent et font respecter, partout où ils s'exercent, les lois qu'elle s'est données quand elle était libre. (Applaudissements.)

Messieurs, tels sont les principes que nous nous sommes fixés dès le 18 juin 1940, aux-