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trict répond à l’orateur ; l’un des assesseurs réplique au chef ; son discours est suivi par celui d’une autre autorité, et ainsi de suite, durant un temps qu’aucune règle n’a limité d’avance. Mais le « tavana » termine son speach par cette phrase d’une éloquence irrésistible : « Amis, puisque tout est prêt, mangez ! mangeons ! » et cent estomacs affamés suivent ce conseil sans prêter une plus longue attention aux orateurs qui lâchent pied les uns après les autres. Un seul reste sur la brèche et continue sans perdre haleine.

Cependant, autour des tables, mets et friandises disparaissent comme par enchantement ; la faim s’apaise et les convives repus se renversent sur le dos de leurs sièges. Soudain un « hui-raatira » à la face rubiconde et luisante de graisse se lève tenant à la main un verre de vin rempli jusqu’au bord. À cette vue, des exclamations joyeuses partent de tous les côtés de la salle : « Une santé ! voilà qui est bien ! Écoutez le toast ! » Des hurlements articulés cherchent à dominer ces divers cris… C’est l’orateur fanatique qui ne veut pas être interrompu ; il demande qu’on l’écoute… Profitant de son ahurissement, l’amateur du toast a passé outre et s’est emparé de la parole. Il invite les convives à boire avec lui à la santé de la « répupurifa » (république), du « tomana » (commandant), de Pomaré « Vahiné » (femme), du chef du district, du chef motoï, des autorités du lieu. Des hourras formidables s’échappent de toutes les poitrines et, pendant que l’orateur vide son verre rubis sur l’ongle, bon nombre de chefs de famille, non-seulement ont rempli tous les verres de leurs tables de l’eau-de-vie défendue, mais encore ils en distribuent aux tables voisines. Là-dessus le chef motoï, qui représente la force publique, s’est levé grave et solennel. Attention ! À l’immobilité et au silence qui se sont emparés immédiatement de l’assemblée, à son attitude consternée, elle semble pressentir un événement peu agréable. En effet, le gênant fonctionnaire rappelle avec sévérité à l’assemblée que la loi ne permet pas les boissons spiritueuses aux sujets de la reine, que si on les tolère parfois dans certains « amuramâa » publics, ce n’est que par ordre du « tomana » ou sur permission expresse du directeur des affaires indigènes,