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formidables éclats de rire inséparables de toute réunion des Tahitiens.

Vers le coucher du soleil, alors que tous les habitants du district se reposent un peu des grands travaux de la journée, le « tari-parau » (tambour officiel), parti de la maison du chef, traverse le village dans toute sa longueur, en faisant retentir les airs des roulements invariables en pareille circonstance de son instrument, auquel une troupe de gamins font un brillant accompagnement en exécutant les mêmes jeux de baguettes sur la peau soulevée d’un morceau de gros bambou encore vert qu’ils maintiennent sous leurs bras, et imitent fort bien les sons du tambour en sourdine. En temps ordinaire, de chaque case serait partie une interrogation à l’adresse des dilettanti ; mais, en ce jour, tout le monde sait que c’est la convocation au « paraparaù » (réunion pour la parole) sur les choses qui regardent la grande solennité. Une demi-heure après, tout le village est rassemblé devant la case du chef et attend en silence, dans les poses les plus variées, qu’il plaise à l’« aüvâa » de donner le signal des discours. Celui-ci, sur l’invitation du « tavana », se lève enfin, et, de toutes les forces de ses poumons, annonce à la réunion les choses les plus extraordinaires, comme, par exemple, qu’on est bien près d’atteindre la dernière heure de l’année qui expire, et qui sera suivie de la première heure de l’année nouvelle ; que des « himéné » nouveaux seront chantés au temple à cette occasion ; qu’il y aura énormément à manger à l’« amuramâa », les chasseurs ayant pris tant de chèvres et tant de porcs sauvages (ici l’orateur imite les cris et certains mouvements particuliers à ces animaux, à la très-grande hilarité des auditeurs), et une foule de particularités aussi neuves, que tout le monde sait par cœur, tant on se les est répétées à satiété, mais que, néanmoins, on écoute chaque année dans le même silence et avec la même attention que si elles frappaient pour la première fois leurs oreilles. Cependant, l’intérêt et le contentement qui s’attachent à ce discours sont en proportion du talent que déploie l’orateur pour remailler de mots plaisants, de saillies piquantes, d’allusions plus ou moins transparentes à certains