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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

deux versants de la Cordillère et les deux océans immenses où viennent finir, sur le Pacifique, la vallée du Rio-Grande, et, sur l’Atlantique, celle du Chagres. Le tracé du canal, interrompu à la montagne, paraissait comme un infiniment petit effort humain en face de l’imposante nature.

— Superbe point de vue !…

— Et rare, ajouta Gérolans, car avec la végétation tropicale de l’isthme, on ne peut nulle part ailleurs avoir une vue d’ensemble.

— Merci, Ramon, de m’avoir conduit ici, dit Lavarède en redescendant à terre.

— C’est l’arbre du Français, fit simplement l’Indien.

— Que signifie ?…

Ce fut Gérolans qui dut expliquer, pendant que l’on reprenait la route de San Pablo.

— En 1880, un lieutenant de vaisseau, M. L. Bonaparte Wyse, qui fut le plus ardent apôtre de l’œuvre du canal, avec un autre officier de notre marine, M. Armand Reclus, finit, à force de recherches, par découvrir ce point de la Sierra, où l’on a sous les yeux la démonstration que les travaux doivent aboutir. Sir Murlyton avait l’air aussi satisfait que Lavarède.

— Vous êtes content, dit-il, et moi aussi…

— Pas tant que moi, répondit Lavarède, puisqu’il s’agit de la découverte faite par un de mes compatriotes.

— Et je dis, riposta l’Anglais, que je suis plus content que vous, moi… car, si c’est un officier de la marine française qui a vu, le premier, l’endroit où les deux mers sont ainsi rapprochées, c’est un officier de la marine anglaise qui a prévu, le premier, la place où devait venir votre compatriote.

C’est exact d’ailleurs, et la fierté britannique avait raison. En 1831, le commandant Peacok détermina sommairement, mais avec un coup d’œil sûr, la ligne qu’aurait à suivre une voie de communication entre les deux océans ; le chemin de fer, puis le canal ont justifié ses prévisions. De même aussi, l’Écossais Paterson fut l’un des premiers à deviner l’importance de l’isthme américain, qu’il appelait « la clef du monde » et qu’il voulait conquérir pour sa patrie. Celui-là fut battu et chassé, en 1700, par le général espagnol Thomas Herrera, qui, pour ce fait, a sa statue à Panama.

— D’ailleurs, on le sait, dit Lavarède qui était devenu sérieux, ce n’est pas de nos jours seulement qu’il a été question du percement de l’isthme américain. Le premier qui y ait songé n’est autre que Charles-Quint, sur l’avis de Saavedra, qui, en 1523, chargea Cortez de chercher el secreto del estrecho, « le secret du détroit ». En 1528, le Portugais Galvão proposait