dant que l’idée des représailles féroces, des représailles à la mode de don José, ne hantait plus l’esprit de son adversaire.
Cependant Gérolans avait envoyé chercher son Indien, qui habitait San Pablo, au sud du tracé, sur le chemin de Bahio-Soldado.
Grand, découplé, le teint cuivré, le regard très doux, l’Indien était de race pure, — ce qui est maintenant exceptionnel dans l’État de Panama. Par sa régularité, sa correcte obéissance, il était devenu chef d’équipe ; c’était un des très rares aborigènes demeurés au service de la Compagnie. Au début, ils étaient nombreux ainsi que les noirs. Mais les marécages les eurent bientôt fait disparaître.
Et l’on sait que l’on a dû recruter, pour les remplacer, jusqu’à des nègres d’Afrique, des Annamites et des Chinois. La région des marais a tout absorbé !…
— Ramon, lui dit Gérolans, voici un de mes compatriotes, mon ami, ingénieur et docteur, qui doit aller en Costa-Rica… Veux-tu le guider ?
L’Indien, superbe et digne, le regardait. Grave, sans parler, il lui tendit la main. Armand se méprit au geste.
— Ajoute, dit-il en souriant, que je voyage sans argent.
La main de Ramon resta tendue. Instinctivement, Lavarède y plaça la sienne. Un éclair d’orgueil joyeux parut sur le visage de l’Indien. On l’avait traité en égal, non en serviteur.
— Ton ami est le mien, caporal, dit-il à Gérolans.
— Tiens, pourquoi caporal ? fit Armand.
— C’est comme s’il disait cacique ou chef.
— Mais les blancs disent « capitaine » pour cacique.
— Ah !… c’est l’amplification, l’exagération qui leur est restée de la langue castillane.
— Ainsi, dit Lavarède, tu veux bien quitter ta place ici ?
— Oh ! fit l’Indien avec mélancolie, je n’y restais que par reconnaissance pour le médecin de la Compagnie qui a guéri mon Iloé… Tous ceux de ma race qui ne sont pas morts dans la « tranchée de l’enfer » sont retournés cultiver les terres de leur tribu… Je vais partir avec joie pour ne plus revenir. Le chemin que tu dois suivre est celui qui mène à ma montagne ; nous le prendrons ensemble, avec ta compagne et la mienne.
Il avait désigné miss Aurett qui rougit.
— Shocking, murmura sir Murlyton.
— Cette jeune fille n’est pas ma compagne.
— Bien… Iloé saluera ta sœur ce soir, dans ma maison, à San Pablo.