Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
SUR LA TERRE AMÉRICAINE.

— Que diable y alliez-vous faire ?

— J’avais mon idée… Je me fis indiquer le Bazar français et me présentai à mon ancien ami Jordan, devenu l’un des plus gros négociants de la région. Je lui exposai mon cas. Il en rit beaucoup et promit de m’aider, ce qui lui était bien facile, comme vous l’allez voir.

— Le Bazar français ?… mais c’est un marché de tous les produits européens, textiles, fabriqués et comestibles.

— Justement ; l’idée est bonne, hein ?

— Oui, mais comme toutes les bonnes idées, c’est un Anglais qui l’a eue le premier… Chez nous, à Londres, à Bayswater, vous pouvez voir un établissement de ce genre, le « Whiteley ».

Lavarède n’était pas disposé à discuter avec Murlyton sur ce point de chauvinisme mercantile ; il poursuivit :

— L’ami Jordan a déjà fondé plusieurs succursales de sa maison, mais il en rêve d’autres. Il m’offrit de m’en occuper, d’aller d’abord surveiller celle qui commence à Sabanilla, puis d’inspecter la côte américaine et d’aller jusqu’à Veracruz, en m’arrêtant partout où cela me semblerait utile. Il mettait à ma disposition pour cet objet son vapeur Maria-de-la-Sierra-Blanca, sur lequel nous sommes actuellement, qui est commandé par le capitaine Delgado, que j’ai l’honneur de vous présenter, et qui m’a rapidement conduit ici, le seul pays où il m’ait « semblé utile » de m’arrêter, selon mes instructions, puisque c’était ici que je vous avais donné rendez-vous.

— Fort bien ; mais où avez-vous eu de l’argent ?

Le piège était trop visible. Lavarède n’y tomba pas.

— Mais, cher monsieur, point n’était besoin d’argent pour tout cela… Jordan m’a nourri, j’ai travaillé pour lui, nous étions quittes.

« Le señor Delgado peut vous affirmer que je suis, depuis huit jours, un employé comme il n’en a jamais vu. »

Le marin opina du bonnet.

— Jamais, n’appuya-t-il, je n’ai rencontré une personne aussi désintéressée que ce Français.

— Merci du certificat, fit Lavarède en riant, ce sera votre adieu, car je vous quitte.

— Comment ? Nous ne continuons pas le cabotage sur la mer des Antilles ?… Mais nous devons aller jusqu’au golfe du Mexique… Que va dire M. Jordan ?

— N’ayez aucune crainte, il est au courant et a voulu seulement m’aider à franchir une étape difficile… Donc, séparons-nous et que Dios vous garde.