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LA MER DES ANTILLES.

avait passé, le secrétaire du gouverneur reconduisit Lavarède au bateau. Là, tout était bouleversé, sens dessus dessous. Il y avait eu un raz de marée.

Ce phénomène bizarre est assez commun dans ces parages, mais il n’en est pas plus expliqué pour cela. En plein calme, sans que les flots soient agités au large, de longues houles se produisent, s’accentuant de plus en plus à mesure qu’elles s’approchent du rivage, si bien que, sur la côte, la mer est furieuse et comme démontée.

Heureusement, le port de Fort-de-France est sûr, c’est le mieux abrité des Antilles, en sorte que les effets de ce raz ne furent point funestes à la Lorraine.

— Bonheur encore que nous n’ayons pas vu le cyclone, dit un des matelots ; ça ravagerait tout, les maisons et les bateaux.

— Ces cyclones sont donc bien terribles ? fit miss Aurett.

— Certes, répondit sir Murlyton, et ils sont particuliers à la Carribean sea, — le nom que les Anglais donnent à la mer des Antilles.

Pendant que le navire dérapait, un officier du bord en rappela quelques-uns dont la Martinique eut fort à souffrir : celui du 10 octobre 1780, qu’on appelle encore le « grand ouragan », celui du 26 août 1825, et celui du 4 septembre 1883, où la ville de Saint-Pierre fut à demi détruite et vingt navires perdus dans le port. On était silencieux. Cela se comprend : l’évocation de tels désastres n’est pas pour que l’on rie.

Quelques instants après, Lavarède, seul sur le pont, regardant la côte qui approchait, restait pensif. À peine interrogea-t-il le second.

— La première escale est bien la Guayra ?

— Oui, ensuite Porto-Cabello, encore en Venezuela ; ensuite Savanilla, en Colombie ; mais, à l’aller, nous ne nous arrêtons guère sur ces points que pour le service de la poste. Au retour, nous restons plus longtemps, à cause des chargements pour l’Europe.

La Lorraine continua sa route. Lavarède ne parut point à table. Il était malade, disait-on.

Le lendemain, sir Murlyton le fit demander. Bouvreuil et don José le cherchèrent eux-mêmes partout. Ils ne le trouvèrent point. Lavarède avait disparu. Tout le monde était inquiet, sauf miss Aurett, qui seule paraissait conserver son sang-froid britannique.