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LE BAPTÊME SOUS LA LIGNE.

— Je ne demande pas mieux… mais vous devez bien penser que je n’ai pas sous la main les papiers nécessaires… le dossier est à Paris.

— Un simple reçu aurait suffi, dit froidement José… vous réfléchirez.

— C’est cela, quand nous débarquerons.

— Alors, ce sera plus cher.

— Vraiment ?

— Sans doute… car il faudra nous débarrasser de votre ennemi, et ce sera un surcroît de dépenses.

— Un surcroît ?

— Même dans les pays équatoriaux, cher monsieur, les coups de revolver se paient à part.

Bouvreuil blêmit.

— Mais je ne demande pas sa mort ! s’écria-t-il.

— Bast ! les demi-mesures ne valent jamais rien ; je vous assure que vous faites là une économie mal placée.

Don José commençait à se montrer sous son véritable aspect ; à vrai dire, il effrayait un peu le vautour Bouvreuil, — canaille civilisée que le code avait faite, mais dont les combinaisons ne dépassaient pas les bornes légales. On sait qu’elles vont d’ailleurs assez loin et que « le droit » couvre bien des actions pas toujours très belles ; en France, autre chose est d’avoir l’équité pour soi ou bien le papier timbré.

La Lorraine approchait de la « ligne ». Le passage de cette zone imaginaire est l’occasion d’une fête pour les matelots, que connaissent tous ceux qui ont un peu navigué. Du côté de Lavarède et de la famille Murlyton, on en parlait en toute connaissance de cause.

Déjà on voyait l’équipage préparer mystérieusement, avec des sourires énigmatiques, les accessoires du fameux baptême, dont les péripéties grotesques ont été vulgarisées par les dessinateurs.

— Étrange coutume, tout de même, dit miss Aurett.

— Oh ! mademoiselle, si l’ancienneté est une excuse, celle-ci est bien pardonnable, car elle remonte fort loin. On ne sait si c’est la corruption d’une cérémonie païenne, sur laquelle le catholicisme aurait laissé au passage quelques lambeaux de ses rites. Quelques-uns pensent que c’est le souvenir d’un culte profane, d’une religion indécise des peuples navigateurs, se rattachant à l’adoration du soleil.

— Mais j’ai lu dans mes livres, fit observer la jeune fille, que cet usage ne semble point avoir été pratiqué par les compagnons de Christophe Colomb, ce qui ne lui donnerait pas une origine aussi antique.