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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Au besoin elle lui eût fait badigeonner les manches à balai aux couleurs nationales. Jamais son mari n’avait soupçonné qu’il y eût tant de choses à peindre dans la maison. Et Armand couvrait de teintes variées des objets divers, tout en cherchant une idée qui ne venait pas.

Pour atteindre Paris en temps utile, le chemin de fer seul était un véhicule assez rapide. Une visite à la gare lui prouva qu’il ne trouverait aucune aide de la part du personnel, tremblant sous le commandement d’un chef sévère.

La journée du 18 mars avait fui, celle du 19 s’avançait. Désespérément Lavarède maniait son pinceau. Il s’était juré de quitter la ville le lendemain coûte que coûte, non plus pour arriver à Paris, mais pour changer de place, pour échapper à l’excitation nerveuse qui le gagnait.

D’une armoire de bois blanc, il venait de faire un meuble en acajou, et prenait, sur le comptoir, le vermouth offert par le patron, quand un homme d’équipe entra :

— Dites donc Croullaigue, fit-il, demain matin vous aurez deux déjeuners en plus.

Le commerçant inclina la tête.

— Vous attendez des amis ?

— Non, mais les employés du bureau-ambulant.

— L’ambulant du train-poste 4, Marseille-Lyon. Pourquoi ?

— Parce que la correspondance de Perpignan-Cette sera en retard.

— Vous savez cela d’avance ?

— Dame !… Un éboulement près de Narbonne. Service provisoire en voie unique. Résultat : désheurement des trains. Mais ne vous en plaignez pas. Il y a un certain Poirier, ambulant, qui n’engendre pas la mélancolie. Il boit, il mange. En voilà un qui n’a pas peur du choléra.

Mme Félicité écoutait à la porte. Elle poussa un gloussement effrayé.

— Ne prononcez pas le nom de cette horrible maladie.

Sa voix tremblait.

— Bon ! fit l’employé, qu’avez-vous ?

— Ce que j’ai ? Allez au coin de la rue et lisez l’arrêté du maire, vous m’en direz des nouvelles : « En cas d’indisposition constatée, faire transporter le malade à l’hôpital d’urgence, afin de ne pas contaminer les maisons particulières. »

Lavarède fit un brusque mouvement. Le train 4 devait attendre ici. Le personnel de la gare ne comptait donc pas d’ambulants auxiliaires que l’on pût expédier avec les dépêches du Midi par un autre train. Un éclair tra-