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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Cher ami, dit-il, prêtez-moi dix louis.

— Ah ça ! vous devenez fou ? fit l’Anglais.

— Non, vous allez comprendre. Jusqu’à Livourne je dois servir sur le Santa-Lucca, j’ai donné ma parole. Mais une fois là, rien ne n’empêche de payer ma place en chemin de fer jusqu’à Paris. L’héritage de mon cousin vous appartient de la sorte, puisque j’aurai manqué à la clause testamentaire et la prisonnière est sauvée !…


Il fixa son mouchoir sur la barre d’appui.

Il disait cela simplement. Sans hésitation, sans regret, il renonçait à la fortune colossale.

— Non, répliqua l’Anglais, je ne puis accepter.

Mais le journaliste l’interrompit.

— Alors je n’ai plus qu’à me loger une balle dans la tête, pour vous contraindre à hériter de moi et à arracher aux mains des Maffiosi le « trésor », comme ils l’appellent, elle !…

Et faisant sauter du bout de l’ongle une larme qui perlait entre ses paupières :

— Dépêchez-vous. Déjà je devrais être à bord. Mes dix louis, mon ami ?…

Le gentleman ne résista plus. Il remit l’argent ; puis lui ouvrant les bras :

— Mon ami, bredouilla-t-il en pleurant… mon fils.

Un instant, les deux hommes demeurèrent embrassés ; et Lavarède se dirigea vers le port d’un pas léger. À trois heures cinq le Santa-Lucca quittait Messine en emportant son nouveau mécanicien.

Sur la jetée, Bouvreuil se promenait avec son inséparable associé Miraflor. Quand le bateau fut à une certaine distance, il se mit à rire.

— Maintenant, dit-il, nous pouvons rassurer ce brave Anglais.

— Vous êtes certain que tout a bien marché ?

— Le mouchoir a été attaché à la fenêtre par ce damné journaliste lui-