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LA MAFFIA.

crimes se multipliaient, tandis que les arrestations diminuaient de jour en jour.

Une mesure radicale s’imposait. La gendarmerie sicilienne fut transportée en masse sur le continent et remplacée par des carabinieri (gendarmes) venant du Nord ; à qui l’en adjoignit des bersaglieri, chasseurs à pied, dont le recrutement se fait principalement parmi les Piémontais. Ceux-là, au moins, font aux bandits une guerre sans merci.

Le gentleman prêtait l’oreille, imposant silence à ses angoisses paternelles pour comprendre. Il fallait apprendre ce pays bizarre. La vie d’Aurett était peut-être en jeu. Une course rapide conduisit les deux hommes chez le capitaine bersagliere Margaritora.

L’officier était prêt à sortir ; mais dès les premiers mots, il introduisit les visiteurs dans une petite pièce qui lui servait de bureau, ainsi qu’en faisaient foi les cartons étagés dans un angle. Avec grande attention, il écouta le récit d’Armand.

— Il y a un témoignage important, termina le journaliste.

— Ah ! et c’est ?…

— Celui du cocher Fierone. Il a vu l’un des acteurs du drame probable. L’homme qui l’a arrêté place del Senatorio est jeune, élégant…

Le capitaine haussa les épaules :

— Et brun, n’est-il pas vrai ?

— Vous le connaissez ? s’écrièrent les visiteurs avec espoir.

— Hélas non ! car il n’existe pas.

— Pourtant…

— Vous n’êtes pas du pays. Vous ne soupçonnent pas la lâcheté et le mauvais vouloir des Siciliens. L’homme brun fait partie de toutes les instructions judiciaires. Toujours un ou plusieurs témoins ont vu l’homme brun sur le lieu du crime. Bon moyen pour embarrasser la justice dans cette contrée où tout le monde est brun. L’homme brun indique que le témoin est Maffioso, celui qui ne sait rien est encore Maffioso, et la victime, elle-même, par crainte des vengeances futures, devient muette. Tous Maffiosi !… Parmi les cent vingt mille habitants de Messine, j’oserais parier qu’il s’en rencontre seulement cent cinquante et un hostiles à la Maffia, les cent cinquante hommes de ma compagnie et moi !

Et comme ses auditeurs le considéraient de leurs yeux désolés :

— Remarquez que je vais faire patrouiller, mais nous avons peu de chances de rencontrer les ravisseurs. Et même, ajouta-t-il avec une pointe de découragement, dans l’intérêt de la prisonnière, puisque vous êtes disposés