de chauffe, on ne lui donnait aucune besogne. Il restait étendu sur les tas de charbon. Seulement, l’atmosphère surchauffée de cette partie du navire surprenait ses poumons qui n’y étaient point habitués. Et il demanda à ne plus descendre aux machines. Ce fut Lavarède, à qui il lançait toujours des regards furibonds lorsqu’il l’apercevait, qui intercéda auprès du second, afin que son malheureux propriétaire restât à l’infirmerie et obtînt même la permission de prendre un peu l’air sur le pont.
— Sur le pont, soit, dit l’officier, mais jamais à l’arrière avec les passagers. Qu’il se tienne à l’avant avec l’équipage. Là, nos hommes auront l’œil sur lui.
C’était trop de satisfaction pour Lavarède. Aussi s’avisa-t-il d’un argument topique pour que sa victime ne descendit plus se faire cuire, toute vivante, devant les chaudières du paquebot. Il argua qu’un homme sujet à des accès de folie était un danger pour la sécurité des passagers : il lui suffirait de tourner de travers un bouton quelconque pour causer un accident à la machine.
Le raisonnement était bon. L’officier du bord s’en rendit compte. Mais, songeant aussi à sa responsabilité, il eut une idée qu’il jugeait meilleure.
— Je vais le faire mettre aux fers jusqu’à la prochaine escale, et nous le déposerons aux Açores ; là, les gendarmes portugais le conduiront au consul français qui réside à Ponte Delgado, dans l’île San Miguel ; il se chargera de le rapatrier.
La seconde partie du projet était trop utile à notre ami pour qu’il ne s’en contentât pas. Il insista pour que Bouvreuil fût laissé en liberté, toujours mêlé à l’équipage, et n’ayant pas le droit de dépasser l’avant du navire.
— Allons, soit, dit le second… on ne le mettra pas aux fers tout de suite, mais je vais le faire surveiller par un de mes mathurins… Et à la moindre incartade, il y passera !
Bouvreuil fut informé de tout. Et, comme la raison du plus fort est toujours la meilleure et qu’il se sentait bien le plus faible, il s’inclina, rongeant son frein. — Mais on se fait une idée de ce qui s’amassait de haine en son cœur, en voyant monsieur Lavarède mollement étendu, éventé avec le panka par l’Indien de service, un des domestiques des cabines de première classe, traité comme passager de marque, — tandis que lui, qui avait payé pour l’autre, en était réduit à un traitement d’indigent ou d’homme du bord.
Inversement, d’ailleurs, Lavarède goûtait ce confortable avec d’autant plus de plaisir. Le voyage commençait bien. Il était déjà en plein dans