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PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

Tandis que les prisonniers et Schultze dinaient dans un restaurant où tout le monde parlait français, Muller courait à la gare et prenait des tickets, pour le train de Jassy-Bucharest-Szegedin-Trieste dont le départ avait lieu le soir même, à onze heures cinq minutes.

Lavarède était heureux d’entendre les vocables de sa langue. Son geôlier l’avait autorisé à prendre son repas dans la salle commune, et il expliquait à miss Aurett, assise en face de lui, que la colonie française d’Odessa est nombreuse et florissante.

— Quoi d’étonnant à cela ? disait-il. La ville baptisée cité d’Ulysse, — Odusseus, d’où Odessa, — par l’impératrice Catherine qui se piquait d’hellénisme, fut, en réalité, fondée par le duc de Richelieu, nommé gouverneur en 1803.

— Ah ça, vous êtes un puits de science, interrompit Murlyton.

— J’ai beaucoup lu, beaucoup vu et beaucoup retenu. Tout à l’heure, si mon bon Autrichien y consent, je vous conduirai à travers la ville. Quatre choses à voir. Un boulevard superbe, courant le long de la crête de la falaise haute de quatre-vingts mètres, sur laquelle est perchée Odessa. Belle statue en bronze de Richelieu. Escalier de cinq cents marches descendant au port. Sous le boulevard, un tunnel que suivent les chariots transportant les cargaisons des navires à l’ancre. Voilà.

Schultze ne fit aucune objection à ce programme. Muller se rendrait directement au chemin de fer avec Bouvreuil, soumis à une surveillance de plus en plus étroite. Les autres prendraient le chemin des écoliers.

Ainsi le Parisien et ses amis purent jouir de l’admirable vue du port éclairé à l’électricité, où les bassins formaient des taches noires, que les feux de position des navires piquaient de points rouges et verts.

À onze heures moins dix, tous pénétraient dans l’immense hall vitré de la gare des voyageurs. Les Anglais se casèrent de leur côté. Pour Lavarède, il avait sa place marquée dans le compartiment spécial retenu par Muller. Le digne agent, accompagné de Bouvreuil écumant de rage, — il avait les menottes, — y était déjà installé.

À onze heures cinq très exactement, le train s’ébranla sous l’œil bienveillant du gendarme, — uniforme vert à parements rouges, revolver dans sa gaine en bandoulière — que l’on rencontre dans toutes les gares russes.

Le lendemain, après une course rapide à travers le steppe, on atteignit Ungheni, station-frontière de la Roumanie.

On dut changer de train. Les voies dans l’empire du tsar sont, en effet, plus larges de douze centimètres que les autres voies européennes, de telle