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PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

— En route, mon cher monsieur Schultze.

Il était enchanté. Grâce à sa petite scène, il pourrait à bord de la Volga échanger quelques paroles avec la jeune fille, sans que l’Autrichien y trouvât à redire.

Ce dernier interrogea un cocher, dont la voiture stationnait près de là. Qu’y avait-il à visiter à Batoum ?

— Dans la ville, rien, répondit l’automédon ; c’est un port militaire entouré de redoutables défenses, mais sans monuments.

Puis d’un ton insinuant :

— Seulement, si cela vous plaît, je vous conduirai à Adjari-Tszali. Ce n’est pas encore la saison, mais c’est égal, en remontant le cours de la rivière Tcholok, on fait une jolie promenade.

Il ne mentait pas. En effet, on ne saurait rien rêver de plus pittoresque que la vallée du Tcholok. Tantôt encaissé, tantôt s’étendant à l’aise entre des plaines basses, le cours d’eau change d’aspect à chaque instant.

À dix verstes de Batoum dans un site merveilleux, au confluent de la rivière et d’un torrent s’élève une « Gostinitza » où l’on donne à boire et à manger. L’auberge a remplacé le poste des Zaporogues, Cosaques de la ligne militaire qui autrefois vivaient en cet endroit, comme nos spahis de la frontière algérienne, comme les anciens honveds de Hongrie.

Pendant l’été, les négociants de Batoum ont l’habitude de passer le dimanche avec leur famille à Adjari-Tszali.

Pour ne pas manquer à la coutume, Armand et son compagnon entrèrent dans l’isba. Schultze paya et invita le cocher à se rafraîchir. Celui-ci, bavard comme les nôtres, se mit à raconter des histoires du pays, entre autres la légende des Arméniens qui conquièrent commercialement tout le Caucase.

« Dieu dit un jour à Satan :

« — Comment as-tu fait pour réunir tant de défauts dans un seul homme ?

« Le diable ricana :

« — C’est simple. J’ai pris un peu de Grec, j’y ai ajouté pas mal de Persan et beaucoup de Juif. Voilà l’Arménien. »

Distrait par le verbiage du moujick, le policier cessa de surveiller Lavarède. En une seconde celui-ci fut dehors et, sautant sur le siège de la voiture, enleva le cheval qui partit au galop.

Au bruit, Schultze accourut. Trop tard ! Le fugitif était déjà à cent mètres et l’attelage détalait avec une rapidité vertigineuse.