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DU TARIM À L’AMOU-DARIA.

— Ceci est un procédé pour ranimer les gens que le froid a terrassés. J’ai vu cela quand j’étudiais la médecine. Je m’en suis souvenu tout à l’heure, en apercevant le yak et je l’ai appliqué… Maintenant, un peu de nourriture et je réponds de notre compagne.

Il disait vrai. Le soir, ranimée par quelques cuillerées de jus de viande, la jeune fille souriait à son sauveur. La fièvre avait disparu. Le sang coulait plus chaud dans ses veines.

Elle bavardait, faisait déjà des projets d’avenir. On allait construire le radeau imaginé par le Français, on descendrait le cours du fleuve solidifié ; M. Lavarède gagnerait son pari et ensuite…

Là, elle s’arrêta brusquement. Ses paupières battirent. Elle avait été sur le point de dire toute sa pensée, de parler de son mariage, but délicieux de ce périlleux tour du monde, où elle avait appris à aimer.

Armand lui tendit la main, elle y mit la sienne, ferma les yeux et tout doucement s’endormit dans le grand silence du désert… Dans le sommeil même, d’une étreinte inconsciente, elle retenait près d’elle son ami.

Dès le lendemain, les voyageurs purent transporter leur campement au bord du cours d’eau signalé par le Parisien et ils se mirent aussitôt à l’œuvre. L’abattage des peupliers fut pénible. Il leur fallait les scier avec leurs couteaux thibétains, seuls instruments tranchants qu’ils eussent à leur disposition.

Heureusement, ces arbres, remplis à l’intérieur d’un aubier sans consistance, ne résistaient pas énormément à la morsure de l’acier. Il ne leur fallut cependant pas moins d’une semaine pour établir un plancher de six mètres de long sur quatre de large.

La peau d’un yak, découpée en minces lanières, leur avait permis d’assembler les pièces de bois.

De longues perches, fixées de chaque côté du singulier véhicule, devaient traîner sur la glace et servir à le diriger.

Enfin, le radeau fut mis à flot, selon l’expression d’Aurett, les tentes anciennes et les provisions nouvelles solidement arrimées à sa surface.

Tous y prirent place. Le journaliste et Rachmed s’étaient chargés de la manœuvre des perches directrices. Et la descente commença. Lente d’abord sur une pente insensible, elle s’accéléra bientôt dans une série de rapides.

Le « traîneau » improvisé filait avec la vitesse d’une flèche entre les rives escarpées, et les conducteurs avaient toutes les peines du monde à éviter les rochers trouant la surface glacée, qui eussent brisé comme verre l’appareil.