le chemin de la fortune ; mais il comprenait que le mariage de Pénélope était plus hypothétique que jamais. De plus, il connaissait l’aimable caractère de son héritière. Et de rentrer à Paris sans le fiancé attendu lui paraissait exempt de charmes.
Sans doute, l’usurier s’était frotté les mains à l’idée de forcer Lavarède à payer son passage sur le Heavenway, mais sa joie s’était transformée en désespoir lorsque les autorités chinoises s’étaient immiscées dans l’affaire. De suite il s’était rendu compte de la gravité de la situation. Il s’était remué, visitant les fonctionnaires, offrant de larges pourboires aux secrétaires des mandarins. Ces employés avaient accepté l’argent mais n’avaient pas rendu le prisonnier. Découragé par quelques échecs coûteux, Bouvreuil s’était rabattu sur les consulats. Alors, il avait entendu prononcer de grands mots qui faisaient frémir sa chair. Sacrilège, violation de sépulture ! On lui avait raconté des choses inexplicables : Lavarède conspirateur, franc-maçon chinois, affilié à la Ligue universelle du Ciel, de la Terre et de l’Homme.
Il s’était enquis des sociétés secrètes, stupéfait de voir le journaliste mêlé à la politique intérieure de l’empire du Milieu. Si bien que, n’y comprenant plus rien, il avait puisé, dans le désarroi même de son esprit, le courage d’aborder Murlyton pour tâcher d’en tirer quelque éclaircissement.
La réception du gentleman n’avait pas répondu à son attente. Aussi le malheureux propriétaire eut-il, quand les Anglais furent trop éloignés pour l’entendre, un transport de colère auprès duquel les épiques rages des héros d’Homère eussent semblé de simples mouvements d’impatience.
Les nerfs de tout homme, fût-il usurier, ne peuvent demeurer éternellement tendus. Bouvreuil se calma donc. Plus paisible, il tint conseil avec lui-même, et décida que, les circonstances ne lui permettant pas d’agir autrement, le plus sage était d’attendre les événements. Mais, supposant que la présence de miss Aurett dans la prison cachait peut-être quelque projet d’évasion, il se déclara qu’il convenait de surveiller étroitement la jeune fille, afin de poursuivre son « gendre », s’il réussissait à tromper la surveillance des geôliers de Takéou.
Deux semaines s’écoulèrent, sans qu’il découvrît le moindre indice propre à l’avertir d’une fuite prochaine. L’Anglaise sortait avec son père. Chaque jour, elle était un peu plus pâle, et autour de ses yeux si doux, le chagrin plaquait une meurtrissure bleutée. Elle avait fait trois visites à la prison, mais après chacune elle revenait plus attristée.
— Sapristi, se disait Bouvreuil, ça ne marche donc pas. Qu’est-ce qu’ils attendent ?