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LES ANGOISSES D’AURETT.

gnée. Peut-être la Chinoise avait-elle associé le journaliste à un rêve rouge, couleur des rêves d’hyménée en Chine et seule employée pour la toilette des mariées. Pressant dans sa main fermée le papier sur lequel Armand avait crayonné en hâte quelques lignes affectueuses, miss Aurett sortit de la prison. Sir Murlyton paraissait mécontent du demi-succès de sa démarche.

Sur le quai du Peï-Ho, ils se trouvèrent face à face avec M. Bouvreuil. L’usurier sembla gêné tout d’abord, mais se remettant, il salua cérémonieusement les Anglais et d’un ton pénétré :

— Vous venez sans doute de visiter le prisonnier ?

Sir Murlyton et sa fille firent un détour pour éviter ce gêneur, et poursuivirent leur marche sans lui répondre. Mais ce n’était pas le compte de Bouvreuil. Pivotant sur ses talons, il rejoignit les promeneurs.

— Peut-être jugez-vous ma conduite un peu sévèrement. Soyez certains que je ne prévoyais pas ce qui arrive, je voulais seulement arrêterM. Lavarède pour assurer son union avec ma chère Pénélope.

Aurett se retourna comme si elle avait été piquée par une vipère :

— Mademoiselle Pénélope n’épousera pas monsieur Lavarède, dit-elle sèchement.

— Ah ! bah ! bégaya l’usurier un peu troublé par le ton dont ces paroles avaient été prononcées.

— On ne donne pas son nom à la fille d’un dénonciateur, continua l’Anglaise, se montant peu à peu. Il faudrait l’excuse de la passion pour entrer dans une famille aussi pauvre d’honneur, et M. Armand est loin de vous aimer vous et cette demoiselle. Le résultat de vos manœuvres est que votre victime vous méprise un peu plus chaque jour. Et je suis obligée de dire que mon père et moi nous l’approuvons.

Bouvreuil, suffoqué, voulut protester. L’Anglais ne lui en laissa pas le temps.

— Miss Murlyton a bien parlé. J’ajoute qu’aucun rapport ne peut exister entre nous et un personnage de votre sorte. Maintenant éloignez-vous, et notez ceci : Désormais ma bouche ne s’ouvrira plus pour vous répondre, mais mes poings se fermeront.

Et le gentleman présenta au propriétaire un poing de boxeur si menaçant que ce dernier fit deux pas en arrière. Il s’abstint de retenir des gens avec lesquels la conversation était si difficile.

Dans le fond, Bouvreuil éprouvait un très réel chagrin. Non que le remords étreignît sa conscience. Depuis longues années, il s’était débarrassé de cet impedimentum, propre tout au plus à arrêter les honnêtes gens sur