Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
LES ANGOISSES D’AURETT.

Elle s’arrêta un instant.

— Vous estimez ? répéta le père, très ému par ces reproches, encore qu’il les sentît immérités.

— J’estime qu’il serait convenable de nous efforcer d’obtenir l’élargissement de monsieur Lavarède.

Murlyton regarda son interlocutrice d’un air ébahi.

— Et comment ? Je ne connais personne dans ce diable de pays. Je suis incapable de me faire entendre des habitants.

— Oh ! parce que vous ne voulez pas…

— Comment ? je ne parle pas chinois, parce que je ne veux pas ?

— Ce n’est point là ce que je veux dire.

— Alors, explique toi.

Il cédait visiblement. Aurett cessa de gronder. Elle se fit persuasive et douce.

— Voyons, mon père, continua-t-elle d’une voix caressante, quand un Anglais est embarrassé en quelque point du monde, que fait-il ?

— Il en appelle à son consul.

— Justement. Eh bien ! ne trouvez-vous pas que jamais son intervention n’aura été plus justifiée ?

— Si, seulement Lavarède n’est pas Anglais !…

— Il est notre ami, cela suffit… Depuis le départ il m’a sauvé dix fois la vie.

— Au fait, pourquoi pas ? Allons au consulat.

Au fond, sir Murlyton aurait été très heureux de tirer d’affaire son compagnon de tour du monde, pour lequel il éprouvait une très vive amitié. Aussi mit-il aussitôt à exécution l’idée de sa fille.

Le consul écouta son récit, s’engagea à faire les démarches nécessaires pour obtenir la mise en liberté du journaliste, et fixa à ses compatriotes un rendez-vous pour le lendemain. Il lui fallait bien le temps de procéder à une rapide enquête, afin d’établir nettement les faits.

Une heure avant le moment désigné, la jeune Anglaise et son père se présentaient au consulat. Bien entendu, cet empressement intempestif devait être attribué à miss Aurett. Le résultat d’ailleurs fut une longue attente sur les sièges de bambou de l’antichambre. Enfin, ils furent introduits auprès du consul. Le visage de celui-ci était renfrogné.

— Je me suis occupé de votre affaire, dit-il à sir Murlyton ; mais votre protégé s’est mis dans un mauvais cas. Le directeur de la Compagnie de navigation m’a tout conté, et le gouverneur, que j’ai visité, m’a déclaré que