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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Bien ! Tu as été élevée par les missionnaires.

Elle inclina la tête pour affirmer.

— Et on t’a permis de venir désennuyer un peu le prisonnier ?

— Ce n’est pas cela.

— Alors, je ne comprends plus.

La fillette baissa les yeux :

— Je dois te parler.

— Je t’écoute, mon enfant, va.

Diamba regarda le directeur et échangea quelques mots chinois avec lui.

Après quoi, elle s’adressa à Lavarède :

— Chun-Tzé, directeur de la prison de Takéou, te dit ceci : « Je regrette de te tenir captif ; mais humble fonctionnaire, je dois obéir au Ti-Tou qui gouverne la ville. Sans cela on m’enverrait le sabre avec lequel je serais contraint de m’ouvrir le ventre. Sauf la liberté, je te donnerai tout ce que tu demanderas : bons repas, vins exquis, eau-de-vie de première qualité, thé de l’empereur, cueilli par des vierges, aux mains gantées, afin que la feuille en reste immaculée. Enfin, si tu désires écrire à tes amis, les lettres leur seront fidèlement remises. »

Les yeux écarquillés, la bouche ouverte en O, Armand écoutait avec stupéfaction.

Et le directeur Chun-Tzé s’inclinait, souriait de la façon la plus engageante. Diamba poursuivit :

— Chun-Tzé sachant qui tu es, qui sont tes frères, a voulu te remettre en liberté ; il en a référé au Ti-Tou. Celui-ci a refusé.

— Ah ! put enfin s’écrier le journaliste.

— Les tiens, a-t-il prétendu, montrent trop d’audace. Un exprès partira demain pour Pékin, et le fils du Ciel lui-même statuera sur ton sort. Chun-Tzé, ici présent, te prie de remarquer qu’il s’est employé à te sauver. Il te prie aussi, lorsque tu correspondras avec les amis, de leur affirmer qu’il les admire et que, malgré sa fonction, il fait des vœux pour eux.

— De quels amis parles-tu ? questionna le captif, tout interloqué par l’étrangeté de l’entretien.

Diamba croisa les mains sur sa poitrine, courba son corps en une inclination très respectueuse, puis se redressant, elle décrivit du doigt un triangle sur son front.

Du coup Lavarède frappa le sien. Il avait compris. Le diplôme de franc-maçon trouvé sur lui faisait son effet.