— Mais je ne sais si je dois… balbutia l’employé tout ému à l’idée de prendre son repas à une table de premier ordre.
— Acceptez donc.
— Allons soit…
Le quart d’heure de Rabelais était arrivé, mais il avait été préparé de main de maître, et quand Lavarède, après s’être fouillé, déclara d’un air ennuyé qu’il n’avait que des valeurs françaises, Vincents lui assura noblement qu’il ne l’aurait pas laissé régler la dépense. Il alla même plus loin. Il exigea de son nouvel ami qu’il acceptait encore le déjeuner le lendemain à l’Oxtail-Tavern, politesse à laquelle Armand répondit :
— Soit ! mais je vous aurai le soir au China.
— Parfait ! le déjeuner à moi, le souper à vous.
Et radieux, le gros homme pensait :
— Je fais une excellente affaire comme ça, car, à l’Hôtel, c’est meilleur et plus cher.
En rentrant chez lui, le journaliste rencontra sir Murlyton qui sortait. Le digne gentleman était radieux. Il avait reçu la réponse des banquiers de Londres, touché son argent à l’office central des postes et reportait au California-Times, les lettres ouvertes par lui, après y avoir honnêtement remis les dix cents empruntés aux naïfs correspondants. L’annonce indiquée par Lavarède réglerait définitivement la question. Un instant, le Parisien quitta son pseudo-cousin et, à voix basse, il dit à l’Anglais :
— Profitez de votre promenade pour retenir votre passage à bord du Heavenway.
— Nous partons donc ?
— En avez-vous douté ?
Et, désignant Vincents :
— Ce brave garçon m’en fournit le moyen, sans s’en douter, bien entendu. Il vous contera cela au dîner. Je l’ai invité pour ce soir et demain.
— Mais, fit Murlyton, deux dîners vont vous coûter plus de vingt-cinq centimes.
Armand secoua la tête.
— Pas le moins du monde. Vous avez payé à master Tower huit journées pleines.
— Oui, mais je ne vois pas…
— Attendez. Nous sommes arrivés samedi ici. L’hôtel me doit donc tous les repas jusqu’au déjeuner du samedi inclusivement. Or, je quitte la maison mercredi soir, ayant encore droit pour les jeudi, vendredi et samedi,