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AU QUARTIER CHINOIS

Le journaliste comprit tout ce qu’elle ne disait pas. Il voulut la remercier, mais elle l’arrêta, et souriante :

— Vous avez vu la mort de prés pour moi ; à mon tour, je verrai les morts ; je m’acquitte.

Elle débita cela gentiment, avec tant de bonne grâce que sir Murlyton fut persuadé que ses craintes n’étaient pas fondées. Rien ne s’opposait, dès lors à ce qu’il retînt deux cabines à la Compagnie de navigation, dès qu’il aurait reçu l’argent de Londres. Et l’incident fut clos à la satisfaction générale. Armand pria seulement ses amis de faire tous leurs efforts pour dérouter l’insupportable Bouvreuil, et tous attendirent l’heure de se présenter au Californian-Times pour connaître le résultat de l’annonce parue le matin.

À la nuit, ils se rendirent au bureau du journal. Le nombre des lettres arrivées à l’adresse de L. P. D. 26 atteignait cinq cents, ce qui, à 10 cents par missive, représentait 250 francs ou 50 dollars, le double de ce qu’il leur fallait.

— Ô puissance de la réclame ! déclara le gentleman ravi qui, ainsi qu’il avait été convenu, se contenta de prélever les vingt-six dollars réclamés au télégraphe.

Cinquante minutes plus tard, il avait « câblé » à ses banquiers de Londres et il rentrait au China-Pacific, où les jeunes gens l’avaient précédé. Il les trouva au parloir et, tout rasséréné par l’assurance d’être bientôt muni d’argent, il dit à Lavarède en lui serrant la main à la briser :

— Je commence à croire que vous hériterez de votre cousin.

— Nous ne sommes pas au bout du voyage.

— Bast ! vous êtes homme à ne pas dépenser vos cinq sous et à faire fortune en route.

Armand lui rendit son shake hand et il murmura :

— Nous sommes dix mille comme cela, au boulevard, qui vivons en général dans le rêve… Si nous nous mettions en tête d’amasser de l’argent, il n’en resterait bientôt plus pour les financiers.