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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Cette blessure met non seulement en danger l’existence de M. Lavarède, mais aussi son avenir, si nous avons le bonheur de le guérir.

— Que veux-tu dire ?

— Qu’il perd nécessairement ses chances de gagner les quatre millions du cousin Richard, puisqu’il en a pour des semaines avant d’être remis sur pied, et puisque le revoici à Colon, comme à son arrivée d’Europe, ayant perdu deux mois dans l’isthme américain.

— Ma fille, ce sont les aléas de l’entreprise un peu folle de notre ami.

— Mais son sang sacrifié pour me préserver, mais sa vie généreusement donnée pour la mienne ! sont-ce là, mon père, des aléas, comme vous dites, dont il soit digne que nous ne tenions pas compte ?…

— Je ne méconnais pas plus que toi, ma chère enfant, les qualités de courage et de dévouement de M. Lavarède… Seulement, que puis-je faire de plus que ce que j’ai fait ? Ne lui prodiguons-nous pas tous les soins dont nous entourerions l’un des nôtres ?…

— Cela ne suffit pas… nous avons encore d’autres devoirs à remplir envers lui.

— Tu sais que je suis un homme d’honneur et un père affectueux. Si tu veux que je les remplisse, au moins dis-moi quels sont ces devoirs, — que ton chaleureux entraînement te suggère… et que je ne vois pas bien nettement avec ma seule raison.

— Eh bien, les voici… Non seulement nous ne devons pas l’entraver dans sa tâche, mais nous devons encore l’aider à l’accomplir, car c’est pour nous, c’est pour moi qu’il est arrêté. Il faut que, pour moi, par nous, il avance, même inconsciemment, vers le résultat qu’il veut atteindre.

— Ce qui veut dire ?

— Ceci, cher père : son but, en passant par la route de terre, était d’atteindre San Francisco. La route de terre est fermée, reste la route de mer. J’ai pris nos renseignements… Dans deux jours, un steamer américain, L’Alaska, part de Panama pour San Francisco, et nous avons la stricte obligation, au moins par reconnaissance, d’y faire embarquer mon sauveur. La traversée dure treize jours, quatorze au plus. À bord, nous continuerons de le soigner, nous achèverons sa guérison… Le chirurgien, notre compatriote, vous l’a dit ici même, les blessures à l’arme blanche sont suivies d’une convalescence rapide quand les organes essentiels ne sont pas atteints. Tel est le cas de M. Armand. Il ne se rend pas encore compte de sa situation, profitons-en pour exécuter mon projet… Je vous en serai, mon père, profondément reconnaissante.