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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— C’est donc pour la même affaire, pensèrent Lavarède et l’Anglais.

La coïncidence était bizarre entre gens qui ne se connaissaient point et qui se trouvaient appelés ensemble chez un officier ministériel, dont ils ignoraient le nom la veille et le matin même.

Une salutation, une présentation, pas de préliminaires. Maître Panabert est un notaire qui n’a pas de temps à perdre. Il commence aussitôt :

— Monsieur Lavarède, monsieur Murlyton, miss Aurett, j’ai l’honneur et le regret de vous faire part du décès de l’un de mes meilleurs clients, propriétaire du château de Marsaunay, dans la Côte-d’Or, de deux maisons sises à Paris, rue Auber et boulevard Malesherbes, enfin, du domaine de Baslett-Castle, dans le Devonshire. J’ai nommé le regretté M. Jean Richard.

— Mon cousin, s’écria Lavarède !

— Mon voisin, répliqua l’Anglais !

Les deux hommes se regardèrent, absolument interloqués, sans méfiance encore, rien qu’avec une évidente stupéfaction.

Le notaire reprit, impassible :

— Conformément aux intentions du défunt, je vous ai convoqués ici pour entendre la lecture de son testament, olographe, dûment enregistré et paraphé.

Il lut rapidement les formules légales et articula un peu plus lentement :

— « En y comprenant les maisons et propriétés ci-dessus désignées, les valeurs en rentes, actions et obligations, ainsi que l’argent liquide déposé chez mon notaire, ma fortune s’élève à quatre millions environ. Comme je n’ai ni frère, ni femme, ni enfant, ni ascendant, ni descendant directs, mon unique héritier est mon cousin Armand Lavarède… »

— Vous dites ? interrompit Armand.

— Attendez, répliqua le notaire… « mais je ne l’institue mon légataire universel qu’à une condition expresse. Ce garçon ne connaît pas la valeur de l’argent ; il prodiguerait ma fortune, la jetterait à tous les vents, ainsi qu’il advint dans un voyage d’agrément que nous fîmes ensemble à Boulogne-sur-Mer ; cela lui coûta deux mille francs, tandis que, moi, je dépensai cent soixante-quatre francs et quatre-vingt-cinq centimes.

« Donc Lavarède partira de Paris avec cinq sous dans sa poche, comme le Juif errant ; et, de même que ce célèbre Sémite, il fera le tour du monde sans avoir une autre somme à sa disposition. Il sera ainsi contraint d’être économe. Je lui donne un an, jour pour jour, pour exécuter cette clause.

« Nécessairement, il devra être surveillé, et je désigne pour l’accompagner un homme qui aura un intérêt personnel et considérable à remplir