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MISS MOUSQUETERR.

peuvent voir le pont se pencher sur l’abîme où il déverse les guerriers, les yaks engagés sur son tablier de pierre.

Avec un rugissement sourd, le Graveur de Prières veut retourner en arrière. Impossible, un bloc de granit, sans doute contrepoids à la masse du pont, s’est élevé, fermant l’entrée d’un rempart infranchissable[1].

L’athlète tente vainement de repousser l’obstacle. Il s’y meurtrit les mains. Sa vigueur ici est aussi impuissante que la débilité d’un enfant. On ne déplace pas un fragment de montagne.

Et sinistre, dans l’inquiétude subitement née en lui, frémissant encore du cri d’agonie poussé par ses compagnons précipités dans l’abîme, il balbutie :

— Qu’est cela ? Je déchirerai le coupable de mes propres mains.

Mais master Joyeux murmure :

— C’est peut-être une erreur des gardiens du poste A. Ton signal d’ouverture mal compris.

L’on repart. Bientôt, on est hors du tunnel, dans la courette à ciel ouvert, sur laquelle le poste A découpe des baies capricieuses.

— Holà ! clame San de toute la force de ses poumons.

L’appel résonne, répercuté par des échos de plus en plus faibles. Un silence morne succède. Le géant se passe la main sur le front.

— Ils ont eu peur après leur bévue, insinue Joyeux. Ils sont probablement dans les galeries.

Le Graveur de Prières a pour le gamin un regard reconnaissant.

Il lui sait gré de chercher à dissiper l’anxiété qui grandit en lui. Et puis, l’explication peut être juste. San se rend bien compte qu’il n’est pas tendre quand la colère le tient. Les gardiens du poste A ont redouté le premier moment de courroux !

Il pénètre dans le poste. Personne ! Master Joyeux a bien raisonné. Tous se sauvent devant lui. Et à l’idée qu’il inspire pareille épouvante, le géant jaune a un orgueilleux sourire. Après tout, qu’importent les morts, qu’importent les couards ! Ne va-t-il pas régaler l’esprit errant de Log de la plus complète vengeance ? Cela seul mérite d’être retenu.

  1. Ce ne sont point là des fantaisies d’architecture, comme les Arabes en ont imaginé dans leurs contes des Mille et une Nuits. Peut-être après tout, les conteurs rappelaient-ils des traditions transmises oralement et relatant des secrets appris par les voyageurs mis en contact avec les Graveurs de Prières. Ces tribus, sans cesse en lutte avec le roc, sont arrivées à des prodiges. La théorie des équilibres et des contrepoids n’a point de secret pour eux. Et l’on cite, aux confins du Gobi, une montagne, le Koung-Tchou, haute de neuf cents mètres, qui oscille sur sa base, à la poussée de la main d’un homme ; cela par suite des travaux souterrains auxquels se sont livrés ces inlassables fouisseurs de granit que l’on dénomme les Graveurs de Prières.