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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

Corniches étroites à flanc de falaises verticales, défilés à ne laisser passer qu’un cavalier à la fois, se glissant entre des rochers que l’on eût cru entaillés à la hache ; précipices que l’on franchissait sur des monolithes de pierre, jetés ainsi que des ponts titanesques sur les crevasses béantes, si profondes que la lumière n’en pouvait atteindre le fond voilé d’une éternelle nuit.

Des détours incessants, inexplicables, car on se repliait devant un obstacle pour en surmonter un autre d’apparence aussi difficile, achevaient de dérouter toute observation.

On était parti à six heures du matin. Vers midi, on fit halte pour laisser souffler les bêtes et permettre aux hommes de préparer un repas, dont le besoin se faisait sentir.

Des languettes de viande séchée, du riz assaisonné de carry, du thé commun noir, de l’eau-de-vie de riz, composèrent le menu, assez pantagruélique sur ces hauteurs.

En dépit de leurs préoccupations, les prisonniers y firent honneur. San, du reste, paraissait prendre plaisir à les voir se nourrir. Vers la fin du déjeuner, il leur dit même d’un ton de bonne humeur :

— Je constate avec plaisir que vous ne partagez pas le mépris de certains de vos compatriotes pour la chère primitive de nos montagnes. Je vous félicite. Allez, vous saurez avant peu que d’autres donneraient des années de leur existence pour être conviés à semblable festin.

Que prétendait-il exprimer ainsi ? Les captifs en furent réduits aux suppositions. Pas plus que le matin, le géant jaune ne jugea opportun de s’expliquer. Les yaks avaient été délivrés de leur harnachement. Max, remarquant ce détail, demanda. :

— La halte sera donc longue ?

— Deux heures, répondit laconiquement son interlocuteur, lequel s’éloigna presque aussitôt abandonnant ses prisonniers à leurs réflexions.

Ils s’interrogèrent du regard.

— Oh ! murmura enfin Mona ; cet homme me terrifie. Je sens qu’il nourrit un projet sinistre. Lequel ? je ne sais. Et pourtant je suis sûre que le malheur est sur nous.

— Bah ! fit légèrement le romancier, avec le désir de rendre quelque sang-froid à ses compagnes de voyage. Ce bon M. San se propose de nous couper en petits morceaux sous les yeux du seigneur Dodekhan et de mon compatriote de la Roche-Sonnaille. Cela suffit à justifier ses airs malins…