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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

Tous écoutaient, stupéfaits de la simplicité du plan développé par le gamin.

— On nous reçoit à bras ouverts, naturellement. Nous choisissons le moment favorable, et, maniant les tubes de lumière…

Il s’interrompit pour rire en découvrant ses dents blanches, ce qui provoqua chez miss Sourire un accès d’hilarité telle, que la fillette demeura un bon moment sans parvenir à replacer sur la marmite, le couvercle qu’elle venait d’enlever afin de mesurer de l’œil le degré d’avancement du ragoût. Quelle que fût leur haine à l’égard de San et de ses créatures, les jeunes femmes avaient pâli. Elles interrogèrent d’une même voix :

— Que prétends-tu exprimer, Joyeux ?

Il les considéra une seconde, comme s’il s’étonnait de n’avoir pas été compris, puis du ton le plus naturel, il répliqua :

— Deux cents coquins sont disséminés entre le Réduit Central et le poste A, barrant le passage au Maître. Les tubes violets ou bleus les tueront, avec ou sans brûlures ; voilà tout.

La perspective de ce massacre ne le troublait pas, Dans le dévouement comme d’autres dans la vengeance, il apportait inconsciemment la férocité atavique, paisible et raisonnée, de la race jaune.

Aucune voix ne s’éleva après la sienne. La réplique du gavroche asiate avait traversé le cerveau de ses auditeurs ainsi qu’un éclair. Brusquement, ils avaient compris l’angoisse morale qui avait conduit Dodekhan à dire :

— L’Asie n’est point mûre pour la liberté !

Et dans le silence de la nuit, où bourdonnait la marmite du campement, où le vent passait par bouffées gémissantes, ils songeaient à cette haie de morts qu’il faudrait aligner pour délivrer ce poète de la science, Dodekhan, qui avait, rêvé d’émanciper l’Asie sans faucher d’humaines existences.