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MISS MOUSQUETERR.

Par quel concours de circonstances avait-elle été amenée dans ces atroces solitudes des Hauts Plateaux ? Quels étaient ses compagnons ?

Aberleen voulait savoir, poussé à questionner, non par une curiosité banale, mais par le sentiment net, précis, que la venue de la jeune fille se rattachait étroitement à l’œuvre générale que lui, que Labianov, délégués de la civilisation européenne menacée, venaient accomplir dans ces solitudes de l’Asie centrale. Et brusquement, il demanda :

— Que signifie tout ceci ?

Il avait parlé à mi-voix, un peu gêné de troubler les effusions de son collègue.

Mais ces seuls mots rappelèrent Labianov à lui-même. Il desserra son étreinte, éloigna doucement Mona, et d’un accent tout vibrant encore de l’intense émotion ressentie, il prononça à son tour :

— Oui, oui. Cela semble un songe. Tu es là, ma douce enfant, et je n’ose croire à la réalité de ce que je vois. J’aurais traité de fou celui qui m’eût dit : « C’est parmi les cimes abruptes du Pamir que tu verras celle que tu pleures. » Enfant ! ma petite Mona ! Pourquoi, comment est-ce ainsi ?

La vaillante jeune fille s’était ressaisie. Elle comprenait qu’avant de songer à la douceur de la réunion, il fallait assurer le salut de cette armée dont les tentes l’environnaient.

Elle se fit grave. Son visage ne conserva plus trace de son émoi filial, et comme le général Labianov, comme lord Aberleen, surpris de ce changement, l’interrogeaient du regard, elle dit lentement :

— Mon père, oubliez un instant que je suis votre enfant, pour ne voir en moi que la messagère du Drapeau Bleu.

— Allons, toi aussi !

— Miss aussi, s’exclama Aberleen, se départissant de son flegme habituel.

— Oui, mais pas du même.

Peindre la stupeur des officiers généraux est impossible. D’une même voix, ils murmurèrent.

— Pas du même ! Ah çà ! Il y a donc plusieurs Drapeaux Bleus.

Elle secoua mélancoliquement la tête :

— Il n’en est qu’un, seulement, deux influences adverses se le disputent. L’une qui m’a torturée, qui veut votre perte, que je hais ; l’autre de bonté, de loyauté, l’autre que j’aime.

Ce dernier mot jaillit de ses lèvres sur l’aile d’un soupir… L’aveu du sentiment qui dominait son âme en présence du général anglais, tout à