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MISS MOUSQUETERR.

Les joues d’Aberleen tremblotaient. Il comprenait l’atroce souffrance morale de son collègue ; mais il garda le silence. Quels mots pouvaient consoler pareille infortune ? Et Labianov reprit :

— J’ai accepté. J’ai pensé qu’en trompant ce Maître insaisissable, je faisais naître une chance de le démasquer. J’ai accepté. J’ai refusé tout éclaircissement touchant mon absence. Et aujourd’hui…

Il s’arrêta un instant, puis, avec effort :

— Aujourd’hui, je confie la vérité entière à votre honneur. Je vous supplie, Milord, de veiller sur moi, d’empêcher que le père triomphe de l’officier.

Il disait cela d’une voix tremblante, comme faussée, les mains tendues vers son interlocuteur en un geste d’ardente prière.

Celui-ci l’étreignit dans ses bras.

Dear me ! Mon brave ami. Nous étions deux alliés. Nous devenons un seul esprit en deux corps. Oui, je veillerai sur vous. Et s’il est un ordre décisif à donner, by Heaven. Par le ciel ! dussé-je encourir toutes les colères de l’enfer, je ferai en sorte d’en prendre toute la responsabilité.

— Non, non, pas cela, balbutia le père de Mona.

— Si bien, et avec plaisir encore. Il n’y a point matière à me féliciter. J’accomplis mon devoir d’officier tout simple, tout droit. Je risque ma vie pour mon pays. Tandis que vous, vous, on vous écartèle. L’honneur militaire, l’amour paternel. Si ces coquins tuent votre chère petite enfant, au moins ce ne sera pas vous-même qui aurez donné le signal de sa mort.

À la situation effroyable, le lord apportait d’instinct la seule atténuation possible. Parbleu ! Ces hommes, perdus en plein centre asiatique, accompliraient stoïquement tout leur devoir. Le père perdrait sans doute sa fille ; mais il ne se trouverait pas en face du dilemme monstrueux : Trahir son pavillon ou désigner l’heure du supplice de Mona.

Et comme ils restaient là, pâles, mal remis encore de l’émotion poignante de cet entretien, on heurta légèrement à la porte.

— Asseyez-vous, général Labianov, dit doucement l’Anglais. Absorbez-vous dans la lecture de la carte, pour dissimuler l’altération de vos traits.

Son compagnon ayant obéi docilement, Aberleen prononça d’une voix ferme :

— Entrez.

Les officiers aérostiers pénétrèrent dans la salle.

Ils venaient communiquer les résultats de l’ascension des ballons captifs, ayant très complètement reconnu la route que la colonne expéditionnaire devait parcourir le lendemain.