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MISS MOUSQUETERR.

Miss, je vais courir à la gare. On a dû les expédier dans une direction autre que celle choisie par elles.

Une demi-heure plus tard, le romancier revenait. Dans la nuit, plusieurs personnes avaient amené, en des « fauteuils roulants », deux jeunes voyageurs profondément endormis. On les avait donnés comme des fils de noble famille russe, atteints de la maladie du sommeil, que les coloniaux ont importée d’Afrique en Europe. On les ramenait à leurs parents, car le mal pardonne rarement, et l’on ne voulait pas prendre la responsabilité de les garder. Bref, ces gens s’étaient fait délivrer des billets pour la frontière russe.

Le jour même, Max et ses compagnons avaient pris le même chemin. Miss Violet proposa bien d’abandonner sir John, mais le romancier lui répondit :

— Non ; s’il communique avec nos ennemis, il contera son abandon, et ils lanceront des espions à notre poursuite, espions d’autant plus dangereux qu’ils nous seront inconnus.

— Alors, tâchons de lui enlever son « parleur ».

— Pas davantage ; s’il ne téléphonait pas, les coquins s’inquiéteraient encore.

— Alors, quoi faire ?

— Tâcher de le maintenir dans l’imprécision. Il communiquera avec les Masques Jaunes, mais il ne pourra rien leur affirmer.

Au dîner, Max, exploitant la gourmandise du rouge gentleman, le poussa à tel point sur les victuailles et les bouteilles, que le digne Anglais, dans un état voisin de l’ébriété, se laissa transporter à la gare, installer dans un wagon, sans en avoir conscience. Il s’endormit presque aussitôt. La frontière russe est proche, Max se chargea de toutes les formalités de douane, et sir John roula en territoire russe sans s’être aperçu qu’il quittait l’Autriche.

À Bodzivillier, on l’étendit sur une banquette de salle d’attente, tandis que le romancier retrouvait la piste, au relai de poste.

Secoué, tiraillé, John se trouva installé dans une télègue et emporté en une course folle avec ses compagnons.

Aux relais, on s’arrêtait juste le temps de changer de chevaux et de postillon, mais comme à chaque arrêt, on offrait à l’Anglais quelques verres de vodki (eau-de-vie de grains), son ébriété ainsi entretenue lui faisait effectuer le voyage dans une sorte de rêve éveillé.

Jusqu’à ce moment, les costumes des moujicks n’avaient point jeté en lui la pensée qu’il courait la poste à travers les steppes russes.