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LES ASSOIFFÉS DE LUMIÈRE.

— À quels ils fais-tu allusion ?

L’homme baissa la voix :

— Je ne suis qu’un faible smotritiel (surveillant) et je n’aime pas parler d’eux. Je leur obéis parce que la punition ne se ferait pas attendre. Mais le gouvernement russe n’approuve pas que ses employés s’entretiennent de ceux-là.

Du coup, Sara frappa du pied avec impatience.

— Moi, j’aime comprendre. Qui sont ceux-là ?

Une expression de terreur passa sur les traits du smotritiel. Il regarda autour de lui d’un air défiant, puis dans un murmure :

— Les rouges, fit-il.

— Qui appelles-tu ainsi ?

— Les révolutionnaires.

Et baissant encore le ton, au point de devenir presque inintelligible :

— Ils ont recommandé de t’obéir, de n’accepter aucun argent de toi, de t’amener de bons chevaux et un iamstchik (postillon) habile pour te conduire au prochain relai vers l’Est.

— Vers l’Est, où suis-je donc ici ?

Un gros rire répondit à la question.

— Oh ! Excellence, tu t’amuses encore de moi.

— Non. Réponds. Où suis-je ?

La Parisienne fronçait les sourcils. Son interlocuteur se décida vivement :

— Au relai de Boslav, vingt verstes (la verste vaut 1067 mètres) au delà de la ville de Berditchev.

— En Russie ?

L’homme fut repris pas l’hilarité, toutefois il répliqua :

— Oui, en Russie.

— Et j’y suis arrivée ?

— Cette nuit. Tu dormais, Excellence, ainsi que la jeune dame blonde. Ils avaient recommandé que l’on ne vous éveillât pas. Alors on vous a portées dans l’isba réservée aux fonctionnaires en tournée. La caisse de ton bagage a été serrée auprès de ta voiture, et cela, fit-il avec une nuance de fierté, dans une remise qui ferme à la clef. Un autre n’aurait pu prendre pareille précaution, car à cinquante verstes à la ronde, je suis le seul qui ait une clef. Tous les autres ferment leurs portes à la « cheville ».

La jeune femme n’écoutait plus. Elle se demandait avec angoisse ce que signifiait l’étrange aventure. Les révolutionnaires russes s’occupaient d’elle.