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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— C’est ma tête que je défends… Quand je ne faisais de la police que par ambition, on m’appelait déjà l’habile Kozets. Je vous donne mon billet que cette appellation sera désormais doublement justifiée.

Insensiblement, Mona, sentant que sa présence serait mal accueillie en semblable occurrence, avait regagné l’escalier. Une à une elle avait gravi les marches.

De sorte qu’elle avait presque atteint le premier étage, lorsqu’elle entendit son père clore ainsi l’entretien :

— Préparez-vous donc, monsieur Kozets. Le départ aura lieu dans une heure. Je vais presser ma fille et son institutrice. Ma parole, je les avais oubliées, dans ce bouleversement général. Je m’étonne même que tant de bruit ne les ait pas encore fait paraître.

La fillette poussa vivement la porte de sa chambre, où cinq minutes après, le général la trouva toute occupée, en apparence, à lisser ses longs cheveux blonds.

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Deux heures plus tard.

Il y a cinquante minutes que trois traîneaux ont quitté Aousa.

Ils emportent Mona, son institutrice, leurs bagages et leur escorte.

Bien loin déjà, à l’horizon, la côte de Sakhaline s’estompe dans la brume ; la côte, où le général Labianov, debout sur les glacis de la batterie ouest, ayant aux cils des larmes qu’il ne retient plus et que le froid congèle en diamants solides, regarde les points noirs glissant à la surface de la mer, points noirs sur l’un desquels est l’enfant chérie de son cœur.

En tête, douze chiens, achetés à des tribus kamtchkadales, tirent un double traîneau ; le train d’avant porte Mona, Lisbe, emmitouflée d’épaisses fourrures, et le lieutenant Vas’li faisant fonction de cocher.

À l’arrière, sont amoncelés les bagages, caisses à robes, mallettes à chapeaux et, s’allongeant sur le tout, tel le tube d’un canon, un colis long de deux mètres, recouvert de peau de phoque. Cela est le cadeau que le gouverneur envoie avec sa fille à sa sœur Olga, des pelleteries de toute beauté, en provenance des terres baignées par le détroit de Behring : renards bleus, martres zibelines, loutres, castors.

Cadeau princier, mais peut-on se montrer trop généreux envers celle qui va avoir la garde d’un trésor inestimable. C’est ainsi que Labianov désigne sa Mona. Armé d’une longue gaule flexible, Vas’li dirige, excite l’attelage. De temps à autre, un des chiens lance un aboi bref, auquel le jeune lieutenant répond, suivant l’usage russe, par des paroles d’encouragement :